Je referme ce livre avec beaucoup d'émotion et je dois dire un serrement au coeur de l'avoir achevé.
J'ai adoré ce roman.
Dans cette grande saga familiale, les arbres et la forêt dominent l'histoire, mais c'est aussi une rencontre avec des personnages captivants dont la vie est liée à celle des arbres par un système dense de ramifications.
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Le récit débute dans un futur plutôt proche, en 2038 exactement, et nous remontons le temps, nous rapprochant du centre axial de l'arbre en évoquant des années marquantes : 2008, 1974, 1934 et 1908 au coeur de l'arbre.
Puis, nous rayonnons à nouveau vers l'extérieur, revenant sur chacune des années que nous avions abandonnées avec de nombreuses zones d'ombre. L'auteur parvient à nous transporter dans chaque époque et à rendre le récit plausible et plein de rebondissements.
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La construction du roman est vraiment très ingénieuse.
Michael Christie s'appuie sur les récentes découvertes scientifiques, montrant que les arbres sont plus complexes qu'on ne le croyait, qu'ils communiquent sans cesse les uns avec les autres et qu'ils vivent en interférence constante avec leur environnement.
Ces relations sociales se tissent surtout dans les forêts primaires ou naturelles. En cela, j'ai tout de suite pensé au best-seller «
La vie secrète des arbres » de
Peter Wohlleben.
Si les arbres sont au centre de l'intrigue, «
Lorsque le dernier arbre » est également une formidable saga familiale. Par de superbes métaphores,
Michael Christie souligne notre proximité avec la forêt et les arbres, en accolant la complexité de leur structure et de leurs interactions à l'arbre généalogique d'une famille que l'on suit sur quatre générations.
« de nos jours, on parle beaucoup d'arbres généalogiques, de racines, de liens du sang, etc., comme si les familles existaient de toute éternité et que leurs ramifications remontaient sans discontinuer jusqu'à des temps immémoriaux. Mais la vérité, c'est que toute lignée familiale, de la plus noble à la plus humble, commence un jour quelque part. Même les arbres les plus majestueux ont d'abord été de pauvres graines ballottées par le vent, puis de modestes arbrisseaux sortant à peine de terre. »
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La scène d'ouverture laisse voir un monde pollué et dévasté. Les épidémies fongiques, les invasions d'insectes, le dérèglement climatique, la surexploitation du bois, ont décimé les forêts du monde entier. Ne restent que quelques îlots de verdure, de magnifiques forêts primaires que les plus nantis peuvent approcher lors de séjours à prix d'or.
« Ils viennent pour les arbres.
Pour respirer leurs aiguilles. Caresser leur écorce. Se régénérer à l'ombre vertigineuse de leur majesté. Se recueillir dans le sanctuaire de leur feuillage et prier leurs âmes millénaires.
Depuis les villes asphyxiées de poussière aux quatre coins du globe, ils s'aventurent jusqu'à ce complexe arboricole de luxe – une île boisée du Pacifique, au large de la Colombie-Britannique – pour être transformés, réparés, reconnectés. »
Ainsi, il est cynique de constater qu'après que l'abattage d'arbres ait engendré des profits mirobolants, leur extinction en assure autant.
« Les hommes comme Rockefeller n'ont jamais considéré son pays – la plus grande réserve de matières premières au monde, d'abord volée aux nations indigènes, puis vendue morceau par morceau à des investisseurs étrangers de son espèce – que comme un étalage où se servir… Harris plaint les arbres. Notamment pour la naïveté avec laquelle ils s'affichent de toute leur haute majesté. L'or et le pétrole, eux, ont le bon sens de se cacher. »
Et tout au long du récit, des images de ces magnifiques forêts s'imposent, ancrées, salvatrices et majestueuses. D'autres aussi, plus navrantes, celles de terres poussiéreuses, arides, stériles, de villes asphyxiées par la pollution atmosphérique, d'une population à l'agonie.
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Autant le dire, j'ai adoré l'intrigue sous la forme d'un système racinaire.
Tout comme les anneaux concentriques d'un arbre témoignant des variations climatiques ou des évènements stressants,
Michael Christie construit son récit cerne par cerne, s'étendant sur plus d'un siècle, retraçant l'histoire de la famille Greenwood autour de quelques personnages clés.
Chaque coupe transversale les révèle à différents âges, l'auteur prenant son temps pour développer des personnages dans toute leur complexité, petits ou grands, méprisables ou attachants, médiocres ou intègres.
« le temps, Liam le sait, n'est pas une flèche. Ce n'est pas non plus une route. le temps ne va pas dans une direction donnée. Il s'accumule, c'est tout – dans le corps, dans le monde –, comme le bois. Couche après couche. Claire, puis sombre. Chacune reposant sur la précédente, impossible sans celle d'avant. »
Par ses épreuves, ses secrets, ses mensonges, ses trahisons, ses amours, ses manques, chaque génération marque indélébilement la suivante, transmettant des valeurs, une histoire, une identité. Et même si Jake, Willow, Liam, Harris, et Everett ne sont pas tous unis par les liens du sang, leurs vies s'imbriquent, s'entrelacent, formant un tout.
Entre désir et regret, illusion et désillusion, ambition et renoncement, force et fêlure, l'héritage de la famille Greenwood est fait de souffrances, d'amertume, de sacrifice, d'espoir et de résilience.
« le fruit ne tombe jamais loin de l'arbre, dit le proverbe. Mais Willow sait d'expérience que ce serait plutôt le contraire. Un fruit n'est jamais que le véhicule par lequel s'échappe la graine, un ingénieux moyen de transport parmi d'autres – dans le ventre des animaux, sur les ailes du vent –, tout ça pour s'éloigner le plus possible de ses parents. »
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Une surprenante fresque, une dystopie brillante et unique par sa construction, sur le poids de l'héritage familial, la transmission intergénérationnelle, mais aussi sur le sens de la famille.
Par les relations qu'entretient l'homme avec son milieu, l'auteur aborde également des thématiques fortes qui me touchent, comme l'exploitation de la nature par l'homme, notre fragile dépendance les uns avec les autres, la prise de conscience de nos actes dans le temps, la nécessité de protéger notre environnement.
Notre futur apparaît assez sombre, mais l'espoir est permis.
« le meilleur moment pour planter un arbre, c'était il y a vingt ans. À défaut de quoi c'est maintenant. »
Proverbe chinois
Un roman dont je vous conseille très vivement la lecture.
Et un grand merci à mes amis, Chrystèle, Isidore, Selias pour m'avoir guidée vers cette lecture.