Dehors, il y avait toujours ma copine la buse, ou l'une de ses descendantes en tout cas.
On était seuls au monde.
Avec nos souvenirs. Quoique je ne savais pas si les buses ont des souvenirs.
Tu vois, les filles sont habillées à l'européenne, le voile et toutes ces vieilleries, c'est fini. Avec le pétrole et l'indépendance, tous ces pays ont un avenir merveilleux devant eux.
Pour les entraîneuses qui n'étaient pas là pour rigoler, je n'existais pas puisque je n'avais pas d'argent.
Lorsque la réouverture a eu lieu, le succès ne s'est pas démenti, bien au contraire. La fusillade avait fait naître un parfum de danger qui émoustillait les gens. Il faut dire que le tableau vivant hindouiste composé avec la panthère et le dompteur Sergueï (grimé en maharadja) pour veiller au grain avait grande allure. Le bandard de l'avenue Junot, devenu trop vulgaire, avait été remplacé par un transformiste fabuleux qui changeait de vêtements en quelques secondes. L'ambassadeur ne venait plus avec sa femme, mais avec un homme dont on disait que c'était l'un des maîtres-espions américains pour l'Europe.
Pas habitué aux chaussures que ma mère m’a payées à Rodez. Pas habitué à marcher sur du dur. Paris me paraissait immense. Des endroits si différents en quelques centaines de mètres. Des gens faisant des choses bizarres. C’est plus tard que j’ai appris ce que c’était que des chandelles, des prostituées quoi. Des gens bizarres eux-mêmes. Hommes ou femmes ? C’est plus tard aussi que j’ai su comment on les appelait. Beaucoup de noms pour se moquer d’eux, en fait. Sur le boulevard, des animaux bizarres aussi. Les vaches et les cochons, j’ai vite compris qu’il n’y aurait pas que ça dans la vie. Des lumières tout aussi bizarres, je n’avais jamais vu ça, des néons on m’a dit.
Quant à la salle, c'était un mélange de bottin mondain et de registre du grand banditisme du quai des orfèvres.
On va vendre et acheter de l'information, c'est ça l'avenir.
À vrai dire, la grande affaire de La Lune Bleue, c'était le retour imminent d'Olga. […] Tout le monde attendait la vedette. C'est moi qui devais l'accueillir devant La Lune bleue. Je n'ai pas été déçu. Elle revenait d'un passage triomphal sur le Ku-Dam à Berlin.
C'est ce mercredi-là que ma vie a pris un tour imprévu.
Mais je ne m'en suis rendu compte que bien plus tard.
C'est toujours plus calme quand il y a des rombières qui viennent s'encanailler avec leur Jules.