Citations sur La Maison indigène (46)
(...) il y a quelque chose de vain et de vertigineux à suivre des trajectoires distinctes dans le seul but de repérer les moments et les lieux où elles convergent, dialoguent, comme si des hasards liés nécessairement à la contingence géographique et historique pouvait surgir un sens, et que dirait alors ce sens, que dit-il sinon, là encore, le fade mais rassurant miracle de l'aléatoire?
Ce qui n'est que pur hasard et simple coïncidence infuse en nous de façon étrange, et une fois écartées les sornettes de la prédestination et bannis les mirages des forces occultes, ne reste que le sentiment, à la fois troublant et stupide, d'être à la merci d'ombres bienveillantes, tout en sachant pertinemment que notre cerveau et notre mémoire en savent plus long que nous, et que sans doute ils tissent à notre insu un réseau nous permettant d'y deviner ou d'y inscrire des signes, ces signes dont nous avons besoin à seule fin d'échapper à l'absurde de notre condition.
La Maison devant le monde. "Tout entière ouverte sur le paysage, elle était comme une nacelle suspendue dans le ciel éclatant au_dessus de la danse colorée du monde." (in La Mort heureuse) [Camus]
(...) il y a quelque chose de vain et de vertigineux à suive des trajectoires distinctes dans le seul but de repérer les moments et les lieux où elles convergent, dialoguent, comme si des hasards liés nécessairement à la contingence géographique et historique pouvait surgir un sens, et que dirait alors ce sens, que dit-il sinon, là encore, le fade mais rassurant miracle de l’aléatoire ?
Je n'ai aucune idée du calme séisme que j'ai pu provoquer.
Mais je divague : je ne bâtis rien. Ce sont ruines que je bricole, des ruines dont les strates successives, de livre en livre, s’écrasent l’une l’autre ou s’interpénètrent. Aucune maison où habiter, même de papier.
Mais la Maison mauresque n'est pas un décor, ou plutôt elle est davantage qu'un décor, autre chose qu'une simple villa-pastiche. C'est un livre, écrit à plusieurs mains, plusieurs cœurs, où il fait bon fermer les yeux, à l'écart des rumeurs - et ici la voix de Sénac en sourdine :
L'homme couché, le jour ne peut rien contre lui
il fuit sous des remparts il invente la terre
sur son lit est un vaisseau qui n'aborde nulle part
une cellule de monastère
un music-hall
et là, celle de Camus :
Mais qui se donne au temps de sa vie, à la maison qu'il défend , à la dignité des vivants, celui-là se donne à la terre et en reçoit la moisson qui ensemence et nourrit à nouveau.
La Maison indigène semble attendre, à la croisée des temps, à la lisière des heurts (…) Et si elle était tout autre chose ? Une matrice. Une page vierge dressée à la verticale, en attente d’une encre sympathique, capable de mettre en branle un destin.
Il existe quelque part un dictionnaire des pères, écrit par des poètes. Chacun a le droit d'en consulter les entrées mais ne peut rien modifier. c'est une sort d'encyclopédie des morts passés, présents et à venir, que le temps ne cesse d'enrichir. On y trouve toutes sortes de pères. Des pères autoritaires qui attachent les jambes de leur enfant aux pieds de la chaise pour les empêcher d'être agités; des pères qui ne savent s'exprimer qu'à coups de ceinturon (..) des pères assassinés à cause de leur grand chapeau; des pères gazés à la guerre; des pères qui enseignent la philosophie et l'amitié;des pères qui pleurent leur mère jusqu'au dernier jour; des pères qui n'ont plus d'enfants;des pères nus, sales, merveilleux, glaçants, coureurs, abrutis de poésie (...) des pères muets, furieux (...) des pères qui cherchent leur enfant dans les allées d'un marché et finissent eux aussi par se perdre; des pères qui boitent, qui sculptent, qui vendent des polices d'assurances; des pères qui sentent bon le père et d'autres qui crachent sur leur enfant. (...) Des pères qui écrivent et sans cesse raturent. Le mien figure à la lettre C, juste avant Léon Claro et juste après moi. Sa définition me plaît, me comble, me suffit:
CLARO, HENRI (1931-1986)
espèce d'excité à la recherche de son sens . (p. 170)
"Le hasard ne mordant jamais sans sourire un peu, il advint cela: l'an dernier, un de mes amis, Arno Bertina, m'envoya un e-mail amusé, dans lequel il me disait, plus ou moins en ces termes, " Alors comme ça tu ne te contentes pas d'écrire des livres et de traduire des livres ! Tu construis aussi
des maisons ! Et tu les fais visiter à Camus !" il était en effet tombé, au cours de recherches, sur cette petite information qu'il avait eu à coeur de me donner en pâture :
L'un des premiers textes écrits par Camus a été "La Maison mauresque", qui décrit une villa bâtie par Claro.
Je lui répondis que ce Claro-là était mon grand-père, ce à quoi il me fit cette réponse: " c'est seulement que je trouvais ce pli du temps magnifique à déplier: Camus écrivant son tout premier texte sur une oeuvre de Claro ! " Les choses auraient pu en rester là, tant m'indifféraient depuis des décennies tous ces signes émanant de lointaines archives. Mais cette histoire de "pli du temps magnifique à déplier" ne cessait de me convoquer (...) (p. 17)