L'Archipel du chien

Un froid matin de septembre. Une île pas tout à fait paradisiaque. La terre y est tellement rare que l'on enterre les morts debout. « Une île quelconque. Ni grande ni belle. » À quelques dizaines de milles de l'Afrique. « La vie sur l'île vient du volcan qui la domine… On l'appelle le Brau… Il se livre à une très longue sieste. Quelques rots de temps à autre. Des bruits sourds. Des énervements d'endormi, qui frissonne et se retourne dans son sommeil. »

Sept personnages principaux. Sept notables désignés par leur fonction (le Maire, le Docteur, le Curé…) doivent prendre une décision après la découverte macabre de trois jeunes noirs échoués sur la plage. Des migrants sans doute. Que faire des trois corps ? Surtout ne pas ébruiter l'affaire. Cela pourrait nuire au projet d'un complexe thermal destiné à redonner vie à la petite communauté de pêcheurs et de paysans et à empêcher les jeunes de quitter l'île « moribonde » pour le continent. Seul parmi la galerie de salopards, le jeune Instituteur n'est pas d'accord avec le reste de la bande et s'insurge contre la dissimulation des cadavres, peut-être aux dépens de sa vie.

Ce thriller social et psychologique est écrit de main de maître par « un témoin » anonyme qui prend la parole au début et à la fin du roman, « une voix » fort pessimiste quant au genre humain, lâche et violent. Ce court et puissant roman très contemporain évoque le drame des migrants dont personne ne veut, ni vivants, ni morts. Comme pour rendre le récit un peu moins noir, les pages, tout simplement magnifiques, sont souvent piquées de poésie et parfois d'humour léger. le style fait mouche à chaque phrase. Philippe Claudel écrit drôlement bien, le bougre! Son exposé sur la pêche au thon par exemple est grandiose et magistral. Toutefois pour dénoncer l'égoïsme, l'hypocrisie, la cupidité de l'homme, la plume est terrifiante, elle devient poignard, elle fait mal. On ne sort pas heureux de ce huis clos noir et pesant. Et quelle réflexion lucide sur la nature humaine prête à lyncher sans remord l'innocent : « Ovide a écrit que le temps détruit les choses, mais il s'est trompé. Seuls les hommes détruisent les choses et détruisent les hommes, et détruisent le monde des hommes. »

Un conte philosophique quelque peu dérangeant mais juste sur la nature humaine.
Il fait partie de ces livres dont on ne ressort pas indemne et qui continuent à nous travailler même longtemps après.

http://www.sibillemariejose.com/2018/07/entre-deux-mondes-et-l-archipel-du-chien-deux-livres-a-lire-en-bronzant-sur-la-plage-ou-s-echouent-les-migrants.html

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