Les Âmes grises... où comment regarder les turpitudes d'un village, en apparence calme, par le petit trou de la lorgnette... Sur fond de Première Guerre Mondiale, on assiste aux réactions des villageois après "l'Affaire", c'est-à-dire la mort d'une fillette, retrouvée dans l'eau, assassinée alors qu'elle n'avait que dix ans. Son surnom ? Belle de jour. Il faut avouer que la gamine le porte bien mal... à moins qu'il n'y ait un rapport entre la couleur du corps et celle, tirant entre le bleu et le violet, de la fleur éponyme. Pourtant, on ne se focalise pas sur le meurtre. Non. On se braque plutôt sur les personnages qui gravitent autour : le procureur, le juge, le père, l'institutrice... Et l'on comprend dès lors le titre : tout le monde a quelque chose de négatif en lui, quelque chose à se reprocher... On navigue dans cette ambivalence. Philippe Claudel sonde les coeurs, les âmes de chacun, fouille au plus profond des consciences... Et si chacun d'entre nous était cette âme grise ?
Un beau, très beau roman !
Une couverture dans les tons de bruns, un peu sépia. Une petite fille, des branchages ou plutôt des broussailles. Les Âmes grises, on sent que la gaité ne sera pas de mise.
On entre à peine dans l'histoire et déjà, elle nous happe. Qui est le narrateur ? Comment sait-il ? Où se situe-t-il au milieu de tous ces événements et de ces différents personnages ?
Très vite, vient l'Affaire, la majuscule est d'importance, le terrible assassinat de cette petite fille, la bien nommée Belle de jour, d'autres meurtres suivront. Un suspect se dessine rapidement et parallèlement, notre envie de savoir et d'enfin comprendre nous emporte.
L'opposition entre les petites gens et les notables tout-puissants, le pot de terre contre le pot de fer, donne toute sa force et contribue à donner corps à cette histoire qui fleure bon la province française de cette époque troublée par la première guerre.
Plus encore que pour l'histoire, particulièrement poignante, j'ai eu un véritable coup de coeur pour l'écriture de Philippe Claudel que j'ai découvert avec ce livre. Une écriture parfaitement calibrée, toute en nuances, en évocations, en émotions et en parfums, déjà, qui amplifie la véracité et l'authenticité du récit.
Le monde et les hommes ni tout noirs, ni tout blancs et les âmes grises...
Un grand merci à ma nantaise préférée pour cette belle découverte.
Un livre très fort, bouleversant qui nous emporte. Je n'ai pas trouvé de temps mort dans ce roman et suis sortie de ma lecture très émue. Un très grand livre de Philippe Claudel qui a été pour moi un coup de coeur. Je conseille vivement la lecture de ce chef d'oeuvre.
Le narrateur omniscient, adresse sur un cahier des lignes de confessions à sa femme Clémence décédée il y a fort longtemps, des confessions comparables à des plaies douloureuses, ouvertes sur des remords, des ressentis et des aveux.
Le narrateur nous retrace par le biais de ses écrits, une période noire d'un petit village de Province où un matin d'hiver 1917, on découvre le corps d'une petite fille de 10 ans tuée par strangulation.
Le récit gravite autour de ce macabre assassinat, le narrateur un policier témoin observateur de l'enquête, nous transporte dans cette sombre affaire. Il décortique au fil de la lecture l'ambiguïté de cette tragédie, et nous décrit également la vie tourmentée des petits gens et les notables du village.
En parallèle, ce roman nous amène à certaines réflexions sur différents cas de figure, les atrocités de la 1ère guerre mondiale et ces jeunes garçons poussés sur le front sans expérience, sans préparation psychologique, traumatisés par les horreurs d'une guerre sanglante et barbare, ces soldats déserteurs, fusillés pour avoir fui les responsabilités d'une patrie, ces jeunes garçons qui ne veulent pas devenir assassins d'une guerre qu'on leur impose, une guerre qu'ils ne comprennent pas. C'est une réflexion sur la peine de mort, des têtes tranchées sous l'épée d'une justice stricte, rigide et malveillante. C'est un regard sur la ségrégation des classes sociales, où la haute bourgeoisie traite avec condescendance le petit peuple, d'ignorants. La bourgeoisie et ses inspecteurs, ses juges, ses procureurs et ses notables qui s'octroient des droits et du pouvoir sous prétexte d'instruction et d'éducation, et qui révèlent des faces cachées de pourritures et d'injustices, trouvant des coupables idéaux pour classer des affaires dérangeantes.
Et parmi cette réalité, il y a « Belle de Jour », la fillette assassinée à l'âme pure, que « le Mal qui rend les Hommes si laids », ne possédera pas !
L'auteur sous la main d'une jolie plume, expose les douleurs, les lâchetés, les injustices, des uns et des autres, un roman bouleversant où les protagonistes sont comme cités dans le texte par Joséphine amie du narrateur « Ni salauds, ni saints, ni tout blanc, ni tout noir c'est le gris qui gagne. Les Hommes et leurs âmes c'est pareil... » Nous sommes juste des âmes grises.
Le charme de ce roman, c'est ce mystère qui perdure sur « l'opacité de ce crime » qui nous laisse juge de choisir le coupable, ou tout comme le narrateur dans « le doute, la pénombre, l'hésitation, et l'absence de réponses et de certitudes »... Crime d'un pervers ou crime d'un martyr, est-il souhaitable de le savoir !
C'est le deuxième livre que je lis de lui. » Philippe Claudel nous emmène très loin sur les considérations du bien et du mal. le thème n'est pas nouveau, mais la manière dont il est traité ici est redoutable d'efficacité.
Entre l'amour et la mort, la fine frontière est palpable.
Le récit se structure autour de « l’Affaire » : le meurtre d’une petite fille de dix ans « Belle de jour ». Bien longtemps après, le narrateur évoque ce drame, qui en a enchaîné bien d’autres, à partir des notes consignées dans ses carnets « Je sais tous les faits que je vais raconter (…) j’ai passé ma vie à vouloir les assembler et à les recoudre, pour les faire parler, pour les entendre. C’était jadis un peu mon métier ». Il était policier, lui aussi va rester à jamais meurtri par cette affaire.
Cela se passe dans un bourg P, voisin de la grande ville V (probablement Verdun). Cette histoire débute en 1917, alors que la guerre gronde pas très loin. On va y croiser des salauds, des saints, des nantis comme le procureur Pierre- Ange Destinat, le juge Mierck, le colonel Matziev, le docteur Hippolyte Lucy « mort de faim » , des hommes qui ne sont pas sur le front parce qu’ils travaillent à l’usine où est fabriqué le carbonate de soude, des gueules cassées, des estropiés par la guerre, par la vie , des femmes aussi comme Lysia Verhareine, l’institutrice, Joséphine Maulpas...
Une atmosphère lugubre, particulièrement bien rendue. Au fil des pages, on découvre l’âme humaine faite de gris car « rien n’est ni tout noir, ni tout blanc », on chemine en s’enfonçant souvent dans les ornières boueuses ou gelées, comme celles que nous réserve la vie, à la frontière du bien et du mal, du sinistre, de l’insoutenable, du banal. Par de petits détails on s’immerge dans la vie quotidienne de cette époque : surtout les odeurs, celles des combattants revenant du front, des cadavres, de la peur, celles du vin, de la goutte, de café-rhum, de Pernod, de vermouths que l’on boit pour oublier, pour s’enivrer et passer le temps , celles de tissu mouillé, de bois de chauffage, de gros tabac, celle de la salissure de la vie…
Un roman prenant, poignant.
Ne pas en dire plus, pour découvrir, un à un tous les personnages parmi lesquels s’est glissé le meurtrier. Mais est-ce effectivement le coupable qui a été exécuté ? Et un dernier drame, un ultime secret, celui révélé par le narrateur dans les dernières pages de son carnet.
[...] ça, c'est la grande connerie des hommes, on se dit toujours qu'on a le temps, qu'on pourra faire cela le lendemain, trois jours plus tard, l'an prochain, deux heures après. Et puis tout meurt. On se retrouve à suivre des cercueils, ce qui n'est pas aisé pour la conversation.
On dit toujours que la vie est injuste , mais la mort l'est encore davantage , le mourir en tout cas . Certains souffrent et d'autres passent comme dans un soupir . La justice n'est pas de ce monde mais elle n'est pas de l'autre non plus .
La foule grossit et , on ne sait pas pourquoi , peut-etre parce que c'est toujours tres bete une foule , elle se fait menaçante , serre de plus en plus les prisonniers . Des poings se brandissent , des insultes volent , des cailloux aussi . Une foule , c'est quoi ? c'est rien , des pécores inoffensives si on leur cause les yeux dans les yeux . Mais mis ensemble , presque collés les uns aux autres , dans l'odeur des corps , de la transpiration , des haleines , la contemplation des visages , à l'affut du moindre mot , juste ou pas , ça devient de la dynamite , une machine infernale , une soupiere à vapeur prete à péter à la gueule si jamais on la touche .
Mais je pense qu’il y a quelque chose de plus fort que la haine, c’est les règles d’un monde.
Destinat et Mierck faisaient partie du même, celui des bonnes naissances, des éducations en dentelle, des baisemains, des voitures à moteur, des lambris et de l’argent. Au-delà des faits et des humeurs, plus haut que les lois que les hommes peuvent pondre, il y a cette connivence et ce renvoi de politesse : « Tu ne m’embêtes pas, je ne t’embêtes pas. »
Penser qu’un des siens peut être un assassin, c’est penser que soi-même on peut l’être. C’est désigner à la face de tous que ceux qui tortillent de la bouche et nous regardent de très haut, comme si nous étions des fientes de poule, ont une âme pourrie, comme tous les hommes, qu’ils sont comme tous les hommes. Et ça, c’est peut-être le début de la fin, de la fin de leur monde. C’est donc insupportable.
Philippe Claudel est professeur. Auprès de quel public particulier a-t-il enseigné ?