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sur 250 notes
DE LOINTAINS ENFANTS D'ESCHYLE.

Osons le dire sans détour mais sans que cela enlève rien à la tension dont ce texte très court (moins de quatre-vingt dix pages dans le format "semi-poche" des - excellentes - éditions Libretto) fait preuve de bout en bout : la trame de ce récit si particulier tient à la fois en peu de mots et, malgré toute l'horreur qu'elle contient, demeure d'un genre qui relève d'un certain classicisme antique.

Nous sommes quelque part en ruralité profonde. L'époque est mal déterminée mais débute, peu ou prou, entre la fin des années soixante et le début des années soixante-dix.
Une famille, qui n'y ressemble en rien, parce que le père use de ses poings comme de mots, définitifs. Deux enfants qui trinquent, et surtout l'aînée, Marthe, qui protège avec ses moyens d'enfant son petit frère Léonce. Il y a la mère, enfin, qui prend, et qui prend encore, encore, encore. L'amour d'une mère est pourtant de celui qui déplace les montagnes et, malgré la violence du père, elle est le refuge, la douceur, la bonté pour ces deux gosses qui ne savent trouver d'autre réconfort que parmi les bêtes dont ils s'occupent à la ferme.
Marthe raconte, avec ses mots et ses pleurs, avec sa souffrance et ses espoirs. Elle raconte Myriam, l'amie voisine qui sait mais ne peut rien faire. elle raconte Florent, rencontré furtivement lors d'un bal, elle raconte la douceur de ses mots, la douceur de son corps, la surprise que cela puisse être, au plus profond.
Jusqu'au drame, inouï, irréparable, qui tout emporte : le père, dans sa violence à abattre le pur et le doux, a fini par avoir raison de la mère. Qu'il faudra bien un jour exorciser, par n'importe quel moyen, y compris le plus définitif...

Des histoires sordides de violences familiales, de meurtre de femmes par un époux trop violent, d'enfances brisées et meurtries, il n'est hélas pas besoin de les chercher dans la littérature pour en trouver : le(s) quotidien(s) en sont pleines et, pire encore, certaine presse "spécialisée".
En l'occurrence, c'est la manière de l'écrire qui importe ici. Car Nicolas Clément sait, indéniablement, user d'une langue forte, épurée, travaillée à l'extrême - à la serpe - mais sans que cela passe pour autant par quelque chose de fastidieux ni de précieux. On ne sait si cette manière d'approcher la vérité de cette violence - et ces minces espoirs épars - si particulière est biographique. En réalité, non qu'on s'en moque, mais ce n'est pas le sujet. En revanche, d'en faire poésie, une poésie rugueuse et belle, sombre et véridique, sans concession ni larmoiement donne toute mesure à ce drame digne des antiques - et ce n'est pas un vain mot puisque l'auteur situe son oeuvre sous le parrainage du premier grand maître de la tragédie : le grec Eschyle -, dans lequel le destin semble s'acharner sur les personnages du drame, dans lequel le destin semble ne jamais pouvoir être autre que tel qu'il est.

L'exercice est de première force, sans nul doute. Il laisse son lecteur exsangue, même sans avoir totalement foi en ce qu'il lit - tout semble être presque trop cousu de fil blanc. Comme l'existence, sans doute ? - et si certains moments son de pure poésie, d'autres le cèdent à une certaine facilité, une certaine répétition où le verbe n'est plus très éloigné du lieu commun, du facile, du déjà vu. La rencontre n'en demeure pas moins étonnante, souvent charnelle, essentielle en bien des moments, mais il lui manque peut-être quelque chose de presque moins parfait pour atteindre le bouleversement promis. Il y a aussi qu'un telle oeuvre ne peut demeurer qu'unique, à moins de sans cesse répéter l'usage d'une langue singulière, originale, hypnotique... Qui aboutirait pourtant à une certaine forme de répétition attendue. Ces moins de cent pages nous en préservent, fort heureusement.

Rarement cependant nous aura-t-il été donné de lire ce genre de texte - moins encore chez nos contemporains - dont on a peine à affirmer qu'on l'a aimé ou qu'on l'a seulement apprécié sans y pénétrer totalement. Une chose est certaine, c'est que ce travail sur la langue ne peut laisser indifférent, qu'il a a fallu s'y reprendre à plusieurs fois (ce qui n'est pas si fréquent), non en raison de la dureté terrible de l'argument, mais pour la simple raison que le style ne se prête pas à une lecture linéaire romanesque habituelle, à moins de vouloir déprécier totalement ce qui fait l'intérêt majeur de ce petit ouvrage : la force, la profondeur et la matière du verbe.

Atypique et éternel - dans sa filiation à l'Orestie d'Eschyle -, Nicolas Clément signe sans doute là un ouvrage hors du temps difficilement comparable à quelque texte récent que ce soit. Pour autant, le risque de demeurer unique - ou infiniment répété - existe et, sans avoir été absolument convaincu, demeure l'idée que ce n'est qu'un premier pas en littérature... des plus motivant !
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Je ne saurais trop dire si j'ai aimé ou non mais pas de doute, l'auteur a une plume forte et touchante.
L'écriture de la souffrance, de l'horreur du père qui bat sa famille, la martyrise, la violente, est toute en poésie.
Le roman est court, mais percutant. Tout est dit de l'amour des deux enfants envers leur mère et des blessures infligées.
Puis Marthe, qui part avec son amant, s'éveille à l'amour, la tendresse, la confiance sereine - et non l'amour empli de détresse et d'insécurité de la mère victime-. Renaissance d'une jeune fille emplie d'espoir, courageuse, qui soigne ses blessures...
Par la poésie, on plonge droit dans le coeur, les entrailles de cette jeune fille débordant d'amour et de peine. On réchappe avec elle des noyades, on touche l'émotion comme si elle était palpable et molle comme un nuage humide...

Le roman est court, juste ce qu'il faut, presque. Quelques pages de plus, ça aurait été parfait.

Je remercie Libretto pour cet envoi.
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Marthe. Elle s'appelle Marthe. Une enfance passée à la ferme avec ses parents et son petit frère Léonce. Une enfance cauchemardesque à cause de ce père qui les battait comme plâtre. C'est surtout sa mère qui prenait les coups. Une violence insoutenable, incompréhensible : « Depuis des lustres, Papa ne prononce plus nos prénoms, se jette sur le verbe, phrases courtes sans adjectif, sans complément, seulement des ordres et des martinets. Dans mon dictionnaire, je cherche la langue de Papa, comment la déminer, où trouver la sonnette pour appeler. Mais la langue de Papa n'existe qu'à la ferme. Il nous conjugue et nous accorde comme il veut. Il est notre langue étrangère, un mot, un poing, puis retour à la ligne jusqu'à la prochaine claque. » Très tôt la haine pour ce tyran domestique. La peur aussi. Chevillée au corps. Et puis il y a eu ce jour funeste. le geste de trop. Maman qui ne s'en relèvera pas. Heureusement pour Marthe, Florent était là. Un phare dans la tempête d'émotions et de tristesse qui l'a submergé. A maintenant dix-huit ans, elle entrevoit un avenir possible. Et pourtant…

Difficile de parler de ce texte tant il remue, tant il vous attrape à bras le corps. Il aurait été facile de dramatiser à l'extrême, de donner dans le tire-larme dégoulinant. On en reste pourtant très loin. La narration elliptique y est pour beaucoup. Des phrases courtes, saccadées. Une succession de petits paragraphes où une certaine forme de poésie vient vous cueillir sans crier gare. Marthe murmure son récit dans un souffle. Elle dit la douleur mais aussi son éveil au désir dans les bras de Florent. La violence du père face à la sensualité, face à la tendresse de l'amour. On croit à une possible résilience, on se dit que cette petite fille devenue femme va parvenir à se reconstruire. Mais le traumatisme est toujours présent, la haine viscérale.

Une histoire simple. Une histoire belle et dramatique. Bouleversante. Une plume tout en délicatesse. Sauf les fleurs est un premier roman. C'est surtout un texte magnifique qui vous poursuivra longtemps. Pour un coup d'essai, c'est un coup de maître.


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Un très court roman percutant tant par le forme que par le fond. On suit Marthe à travers les années.
Une écriture pleine de poésie, déroutante. Un récit par bribes qui ressemble à un journal. Un rythme très soutenu qui laisse haletant. Une tension palpable à la lecture. Une impression de malaise. Des sentiments exacerbés, à vif.

Ce roman a vraiment été un grand moment de lecture. Intense. Bref. Choquant. Mais magistral.
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ah merci Audrey un grand merci pour cette sublime découverte. A peine lu quelques pages l'effet : grand coup, grande gifle et j.ai dû refermer le livre tellement ce récit est puissant et je me disais, excusez moi les mots : oh la vache quel bouquin une bombe ! et c'est peu de le dire, mon dieu quel bonheur et à la fois que de douleur dans ce court roman. Il y a très peu de livres qui me fassent cet effet violent et sublime de délectation à la fois, pour tout vous dire c'est le deuxième avec : le message d'Andrée Chedid. Quel style remarquable qui nous emporte, nous envoûte, nous éblouit...c'est fou cet effet en seulement 75 pages pour dire que chaque mot est utile avec toute sa force et sa magie.
Quant à l'histoire, magnifique dans la narration mais malheureuse dans l'origine, ce sujet traité de la maltraitance avec son lot de drames, d.enfance brisée, de femmes violentée mais malgré ce noir absolu la lumière persiste dans l'amour des enfants envers leur mère et vise versa...cette protection que les enfants tentent comme ils peuvent de maintenir autour de leur mère. Et ce père, la terreur, l'horreur, comment définir ce genre de personnage odieux, comment pourtant parvenir à l'ultime.
Prenez le temps de lire ce récit sublime, cette écriture incroyable j.en suis restée toute retournée, heureuse malgré tout d.avoir eu cette chance de savourer un texte de cette puissance et poésie. J'ai plus qu'adoré, il n.y a pas de mots suffisamment assez forts pour définir cette sensation étrange, lisez et vous comprendrez.
Je vais me pencher sur cet auteur à la plume incroyable.
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Cette phrase- là, dès la première page, m'a saisie d'émotion : "J'écris notre histoire pour oublier que nous n'existons plus". ça me préparait pour la suite...
J'avais peu de temps devant moi.
Anne, me suis-je dit, aujourd'hui tu vas être raisonnable : deux-trois pages, pas plus. Mais avec ce livre-là, ça ne marche pas comme ça. Rien ne peut plus nous sortir de cette lecture. Tout d'abord, le récit est très court, ce qui nous donne bonne conscience, mais surtout il y a ce style si particulier, surprenant, et puis l'histoire, qui ne nous laisse aucun répit. On est pris, comme une proie, à la fois consentante (séduite par le talent du narrateur) et indignée (par la tournure que prennent les événements).
C'est triste et beau à la fois.
Comme une promenade, en hiver, quand tout est sombre et presque lugubre. Pourtant...
Pour moi, cette écriture se situe à mi - chemin entre Christian Bobin et Milena Agus... Autant dire un nectar.
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Pour moi, cette lecture fut un véritable coup de coeur.
Ce roman est court ? Et alors ? Là où d'autres auteurs confondent brièveté et vacuité, Nicolas Clément crée un univers d'une densité rare, un langage poétique et foisonnant, où les mots se télescopent dans l'urgence.
Nous ne savons pas à quoi ressemblent Marthe et son frère Léonce. Peu importe ! Nous savons la force de l'amour qui les lit, nous savons la violence qu'ils endurent, nous savons l'apaisement qu'ils trouvent dans la campagne, auprès de leurs bêtes, nous savons leur jeunesse injustement bafouée. Nous savons aussi qu'il est difficile, voir impossible d'échapper à la tragédie. Même s'ils ont toute la vie devant eux. Même si l'amour est là.
Sauf les fleurs, un roman à lire absolument.
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Roman court, fulgurant, violemment poétique, pragmatiquement réaliste, profondément humain. La trame est celle du résumé. le coeur du sujet est la violence conjugale. le point de vue est celui d'une ado qui se (dé)construit là-dedans. Les choix syntaxiques sont audacieux, on s'en accommode rapidement. La concision de la langue ne laisse pas de place à la rêverie entre deux. Ici pas de surcharge pondérale littéraire. Tout est dit (ou suggéré ou induit) une fois pas plus. Ascétisme ? Non, rigueur poétique et littéraire. Comment la violence peut prendre une forme poétique sans sombrer dans une ambiguïté esthétique valorisant la chose. Bref, c'est très réussi. Bravo monsieur Clément !
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Les premières pages m'ont déroutée.
Et puis je suis entrée sans crainte dans les paroles de Marthe, qui vit avec son petit frère et leur maman. Leur père, je n'en parle pas, c'est un monstre.
Les pages se suivent au rythme d'une écriture très poétique et sans barrières. Les mots s'enchainent, et le lecteur ( la lectrice) que je suis se laisse bercer par l'harmonie des phrases.
La vie de Marthe sera marquée par un premier drame, par un grand amour et par des émotions, des émerveillements, et de grands chagrins.
J'ai trouvé ce livre bien trop court, mais je pense sincèrement qu'il faudra plusieurs lectures pour percevoir toute la richesse de cette écriture vraiment très originale.
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Quelle belle découverte que ce jeune auteur, dont c'est le premier roman ! le style d'écriture original et renouant en même temps avec le classissisme fait honneur à la langue française. c'est bien construit, on sent vite que l'atmosphère de drame ne nous lâchera pas, qu'un noir destin poursuivra l'héroine jusqu'au bout.
Le scénario est en soi assez simple, et peut-être un peu prévisible, de cette jeune femme qui souffre, s'émancipe, se libère, jusqu'au final aller jusqu'à tuer le père... On peut y voir aussi une dénonciation des violences conjugales. Les personnages sont pudiques et touchants.
A découvrir avec plaisir.
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