Voir ces pauvres gens, privés de ce qui faisait d’eux des hommes, s’écorcher ainsi sur les murs de ma propre maison, aurait dû m’horrifier mais, au fond, cela m’amusait. Regarder ces saloperies qui, après tout, ne souhaitaient que se repaître de mon corps, s’abîmer de la sorte me convenait parfaitement.
Il ne tarda pas à lui mordre le visage en l’immobilisant de tout son poids. Elle ne se laissait pas faire et tentait de le repousser, en vain. Monsieur Tomate mâchonnait déjà un morceau de joue. Elle enfonça l’un de ses doigts dans l’œil de son agresseur qui, dans l’indifférence la plus totale, resserrait toujours plus son étreinte. La jeune femme cessa bien vite de se battre lorsque le monstre, abandonnant la douceur des joues de sa proie, lui dévora le cou.
Les zombies avançaient péniblement tels des pantins désarticulés tandis que le héros, un vieillard au ventre proéminent, fonçait avec son bolide à quarante kilomètres-heure. James Bond en serait hilare.
J'essayai de chasser l'image du visage d'Arnaud de mon esprit, imaginant qu'il ne s'agissait que de deux lourds ballots de linge sale. Mais on ne se débarrasse pas d'un tel souvenir comme d'une simple tâche.
C’était peine perdue mais le bruit distinct de leurs doigts qui frottaient contre la façade me terrorisait à présent. Ce son sinistre amplifiait l’horreur de leurs cris et à maintes reprises j’essayai de l’étouffer en glissant la tête sous l’oreiller. Il n’y avait rien à faire, je ne pouvais dormir. Mes sens demeuraient en perpétuelle alerte alors même que mon esprit commençait à flancher. Je ne savais pas combien de temps je serai capable de supporter cette torture auditive avant de me mutiler atrocement afin de ne plus les entendre.
Nous remontions la route qui menait au centre du village en longeant les grillages des maisons qui entouraient l’école. Voir les rues désertes et si calmes avait quelque chose de réellement troublant. Notre propension à nous croire les maîtres du monde s’était mue en des murmures de résignation. Seuls les zombies continuaient à crier. Leur gloire n’avait rien de monumental, jamais ils ne bâtiraient quoi que ce soit, mais leur toute puissance était sublime. En quelques semaines, ils avaient complètement métamorphosé le monde. Notre bruyant remue-ménage si rassurant était devenu une quiétude terrifiante.
Ces accidents faisaient même souvent la une et avaient le don d'égayer mes journées. En travaillant, je pensais à ces idiots qui se tuaient sous prétexte d'avoir voulu gagner quelques misérables minutes chez eux en accélérant vainement. Ils n'avaient gagné qu'un aller simple pour le cimetière. La compassion n'était pas mon fort.
Si les poussées d'adrénaline qui m'avaient permis de tenir la veille ne faisaient plus effet depuis longtemps, la peur restait là. Une peur sale et poisseuse. Le genre d'effroi qui ne vous lâche plus et qui s'amuse, dès que vous fermez les yeux, à peindre sur vos paupières closes tous ces visages lugubres, ces dents acharnées, qui vous fixent quelques centimètres sous vos pieds.