Tu es la maîtresse et l’élève de ta vie. Tu tire les enseignements de ton passé et du donnés des leçons à ton moi de l’avenir : les gens normaux s’égarent là-dedans, toi, tu t’y déplaces en dansant.
Lagobello correspondait exactement à la description de Roberto : vu du dehors, on aurait dit un parc clos. Il y avait à l'entrée des caméras de surveillance, et elle dut laisser passer ses papiers au gardien puis attendre que son frère vienne la chercher au parking. En le suivant le long des allées pavées, elle repensa aux récits de Sofia, à ses proclamations politiques contre la famille. Avec ses jardins soignés, son espace libre pour les enfants, ses maisons à l'aspect agréable et son air parfumé, le tranquille complexe résidentiel où l'adolescente avait grandi ne prévoyait qu'une seule existence possible, celle d'un couple marié avec deux enfants et un chien. Il n'y avait pas de place pour des gens tels que Marta, ni même tels que Sofia.
Roberto s’était désormais résigné à penser que tel était l’amour entre adultes : un exercice d’indulgence et de tolérance consistant à s’accoutumer aux défauts d’un autre individu et à lui infliger les siens, à porter sur son dos le fardeau de son malheur.
Vous autre, vous êtes comme les cathos, si vous vous cassez autant le cul, c’est parce que vous croyez en l’avenir. Moi, je veux être heureuse maintenant,
Tu comprends que personne ne peut décider de qui tu es ?
Alors que sa mère se rêve à l'horizontale -sur elle plane l'ombre de Sylvia Plath- Sofia est d'emblée dans la verticalité, la lutte. Ainsi, enfant, perdue dans un magasin flanque-t-elle une gifle à sa mère pour la peur qu'elle avait eue, ou bien affirme avec aplomb dans une rédaction qu'elle ne connaît pas son père, manière de signaler à ce dernier qu'il est trop souvent absent de la maison.
Ce caractère bien affirmé et la manière dont Sofia évolue, nous les découvrons au fil de chapitres où elle ne tient pas forcément le rôle principal, dans une chronologie bousculée qui ne perd pourtant jamais son lecteur en route et éclaire -ou laisse volontairement dans l'ombre, certains aspects de sa vie. Au lecteur de combler les vides à son gré.
Ce portrait-mosaïque, fait aussi la part belle à la mère et la tante de Sofia, personnages hauts en couleur, chacune à leur façon. Vite, faites-vous une nouvelle amie, découvrez Sofia !
213 pages aux mille tonalités qui filent sur l'étagère des indispensables
Elle m'avait dit un jour qu'elle avait un seul et vrai talent, celui de savoir reconnaître le moment où les choses s'achèvent.
Cela eut un effet positif : en parlant de Sofia, Marta commença à mieux connaître Roberto. Son frère avait beaucoup changé depuis l'époque où il avait 18 de moyenne à l'université. Le mythe de la carrière avait été la deuxième grande arnaque de sa vie, juste après un mariage qui ressemblait surtout à une punition. Au bureau, Roberto se voyait dépassé par des collègues plus jeunes et plus ambitieux. Il avait eu des promotions, mais il lui manquait les qualités nécessaires pour accomplir le pas décisif, et il s'était désormais résigné à occuper une position subalterne. Il en discutait avec une grande sincérité. Il avait réévalué des vertus telles que la douceur et la tolérance. Il savait qu'il ne comprenait pas sa femme, qu'il se méprenait sur ses besoins ; chaque fois qu'ils en débattaient, il se heurtait à sa propre vision limitée du monde, mais au moins il l'écoutait. Il cita un proverbe oriental qui disait plus ou moins : si ta maison est balayée par un ouragan, ne t'enferme pas dedans, ouvre portes et fenêtres et laisse-le passer. Marta en fut surprise. Son vieux boeuf de frère découvrait le bouddhisme zen. Et elle connaissait assez les ouragans pour apprécier ce nouveau Roberto, pour comprendre qu'il était enfin devenu un interlocuteur digne de ce nom.