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Citations sur Belle du Seigneur (526)

Dieu, que cette porte était éloignée! Inconscient, la tête tournoyante, passionné d'esclavage, Adrien Deume accéléra son allure, plein de foi en la coopération internationale mais également prét à se passionner sur-le-champ à tels autres sujets divins ou humains, frivoles ou tragiques, qu'il plairait à celui qui tenait entre ses mains d'abondance la manne des promotions, des missions et des congés spéciaux ainsi que les craquantes foudres de l'avertissement, de la réprimande, du blâme, de la réduction du traitement dans le grade, de la rétrogradation, de la révocation et du renvoi sans préavis. Adorant et troublé, flottant, absolument abstrait, il entra, leva les yeux, aperçut au fond de l'immense cabinet le sous-secrétaire général et se sentit perdu.
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Les vrais protestants, c'est ce qui se fait de mieux. Vive Genève ! Tantlérie aussi était bien. Sa foi était un peu Ancien Testament, mais noble, sincère. Et puis le langage de la Deume est affreux. Pour dire gaspiller, elle dit vilipender. Pour dire joli, elle dit jeuli, pour dire milieu, elle dit miyeu, pour dire souliers, elle dit souyiers, et pour dire s'il te plaît, elle dit s'il te polaît. Et tous les endéans qu'elle fourre partout.
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S'imaginant sous le regard de l'aimé (p. 376)
Entrée dans le petit salon, elle se dirigea vers la glace pour n’être pas seule. Oui, ce soir déjà, et tous les jours il y aurait un soir, et tous les soirs il y aurait un demain avec lui. Devant la glace, elle fit une révérence et cette belle du seigneur, puis essaya des mines pour voir comment elle lui était apparue à la fin de cette nuit, imagina une fois de plus qu’elle était lui la regardant, fit l’implorante, puis tendit ses lèvres, s’en félicita. Pas mal, pas mal du tout. Mais avec du parlé, on se rendrait mieux compte. Ta femme, je suis ta femme, dit-elle à sa glace, extatique, sincèrement émue. Oui, vraiment bien comme expression, un peu sainte Thérèse du Bernin. Il avait dû la trouver épatante. Et pendant les baisers de grande ardeur, les baisers sous-marins, quel genre avait-elle, les yeux fermés ? Elle ouvrit la bouche, ferma l’oeil gauche, se regarda de l’oeil droit. Difficile de se rendre compte. L’impression de charme disparaissait, ça faisait borgne. Dommage, je ne saurai jamais de quoi j’ai l’air pendant l’opération. Affreux, je dis opération, alors que tout à l’heure avec lui c’était si grave. En somme, pour voir comment je suis pendant les baisers intérieurs, je n’ai qu’à fermer les yeux et à guigner à travers les cils. Mais non, en somme, ce n’est pas la peine, puisque pendant ces moments-là sa tête est tellement contre la mienne qu’il ne peut pas me voir, donc aucun intérêt.
Elle s’assit, ôta ses souliers qui serraient trop, remua ses orteils, soupira d’aise, bâilla. Ouf, vacances et bon débarras, dit-elle. Plus besoin de faire la charmante puisque le monsieur n’est pas là, oui, enfin le type, le bonhomme, le lustucru, oui parfaitement, mon cher, c’est de vous qu’il s’agit. Pardon, mon chéri, c’est seulement pour rire, mais c’est peut-être aussi parce que je suis trop votre esclave quand vous êtes là, c’est pour me venger, vous comprenez, pour vous montrer que je ne me laisse pas faire, pour garder mon self respect, mais n’empêche que tout de même c’est bien agréable d’être seule.
Elle se leva, fit des grimaces pour se décontracter, déambula. Exquis de marcher sans souliers, rien qu’avec les pieds, bien à plat, un peu pataude, exquis de remuer les orteils, de n’être plus tout le temps sublime et Cléopâtre et redoutable de beauté. Chic, on allait manger maintenant ! Parce que, mon chéri, je regrette, mais je meurs de faim. Tout de même, j’ai un corps. Vous le savez d’ailleurs, sourit-elle, et elle s’en fut, désinvolte.
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Volonté du Quichotte (p. 767)
Leur Loi ils l’aiment de tout leur coeur ô ces rouleaux de la Loi en grave procession dans la synagogue les fidèles les baisent et de toute mon âme je m’incline avec émoi devant cette majesté qui passe je les baise aussi et c’est notre seul acte d’adoration dans la maison de ce Dieu auquel je ne crois pas mais que je révère ô mes anciens morts ô vous qui par votre Loi et vos Commandements et vos prophètes avez déclaré la guerre à la nature et à ses animales lois de meurtre et de rapine lois d’impureté et d’injustice ô mes anciens morts sainte tribu ô mes prophètes sublimes bègues et immenses naïfs embrasés ressasseurs de menaces et de promesses jaloux d’Israël sans cesse fustigeant le peuple qu’ils voulaient saint et hors de nature et tel est l’amour notre amour ô mes anciens morts je veux vous louer vous et votre Loi car c’est notre gloire de primates des temps passés notre royauté et divine patrie que de nous sculpter hommes par l’obéissance à la Loi que de devenir ce tordu et ce tortu ce merveilleux bossu surgi cette monstrueuse et sublime invention cet être nouveau et parfois repoussant car ce sont ses débuts maladroits et il sera mal vu et raté et hypocrite pendant des milliers d’années cet être difforme et merveilleux aux yeux divins ce monstre non animal non naturel qui est l’homme et qui est notre héroïque fabrication en vérité c’est notre héroïsme désespéré que de ne vouloir pas être ce que nous sommes et c’est-à-dire des bêtes soumises aux règles de nature que de vouloir être ce que nous ne sommes pas et c’est-à-dire des hommes et tout cela pour rien car il n’y a rien qui nous y oblige car il n’y a rien car l’univers n’est pas gouverné et ne recèle nul sens que son existence stupide sous l’oeil morne du néant et en vérité c’est notre grandeur que cette obéissance à la Loi que rien ne justifie et ne sanctionne que notre volonté folle et sans espoir et sans rétribution […].
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Adorateurs de la force (p. 306-310)
Dîtes, tous ces futurs cadavres dans les rues, sur les trottoirs, si pressés, si occupés et qui ne savent pas que la terre où ils seront enfouis existe, les attend. Futurs cadavres, ils plaisantent ou s’indignent ou se vantent. Rieuses condamnées à mort, toutes ces femmes qui exhibent leurs mamelles autant qu’elles le peuvent, les portent en avant, sottement fières de leurs gourdes laitières. Futurs cadavres et pourtant méchants en leur court temps de vie, et ils aiment écrire Mort aux Juifs sur les murs. Aller à travers le monde et parler aux hommes ? Les convaincre d’avoir pitié les uns les autres, les bourrer de leur mort prochaine ? Rien à faire, ils aiment être méchants. La malédiction des canines. Depuis deux mille ans, des haines, des médisances, des cabales, des intrigues, des guerres. Quelles armes auront-ils inventées dans trente ans ? Ces singes-savants finiront par s’entre-tuer tous et l’espèce humaine mourra de méchanceté. Donc se consoler par l’amour d’une femme. Mais se faire aimer est si facile, si déshonorant. Toujours la même vieille stratégie et les mêmes misérables causes, la viande et le social.
Le social, oui. Bien-sûr, elle est trop noble pour être snob, et elle croit n’attacher aucune importance à ma sous-bouffonnerie générale. Mais son inconscient est follement snob, comme tous les inconscients, tous adorateurs de la force. En silence, elle proteste, me trouve l’esprit bas. Elle est tellement persuadée que ce qui compte pour elle, c’est la culture, la distinction, la délicatesse des sentiments, l’honnêteté, la loyauté, la générosité, l’amour de la nature, et caetera. Mais, idiote, ne vois-tu pas que toutes ces noblesses sont signes de l’appartenance à la classe des puissants, et que c’est la raison profonde, secrète, inconnue de toi, pour que tu y attaches un tel prix. C’est cette appartenance qui en réalité fait le charme du type aux yeux de la mignonne. Bien-sûr elle ne me croit pas, elle ne me croira jamais.
[…] Les privilégiés ont du fric : pourquoi ne seraient-ils pas honnêtes ou généreux ? Ils sont protégés du berceau à la tombe, la société leur est douce : pourquoi seraient-ils dissimulés ou menteurs ? Quant à l’amour de la nature, il n’abonde pas dans les bidonvilles. Il y faut des rentes. Et la distinction, qu’est-ce, sinon les manières et le vocabulaire en usage dans la classe des puissants. […] Tout cela, honnêteté, loyauté, générosité, amour de la nature, distinction, toutes ces joliesses sont preuves d’appartenance à la classe dirigeante, et c’est pourquoi vous y attachez une telle importance, prétendument morale. Preuve de votre adoration de la force !
Oui, de la force, car leur richesse, leurs alliances, leurs amitiés et leurs relations, les importants sociaux ont le pouvoir de nuire. De quoi je conclus que votre respect de la culture, apanage de la caste des puissants, n’est en fin de compte, et au plus profond, que respect du pouvoir de tuer, respect secret, inconnu de vous-même. Bien-sûr, vous souriez. Ils souriront tous et ils hausseront les épaules. Ma vérité est désobligeante.
Universelle adoration de la force. Ô les subalternes épanouis sous le soleil du chef, ô leurs regards aimants vers leur puissant, ô leurs sourires toujours prêts, et si elle fait une crétine plaisanterie le choeur de leurs rires sincères. Sincères, oui, c’est ce qui est terrible. Car sous l’amour intéressé de votre mari pour moi, il y a un vrai amour désintéressé, l’abjecte amour de la puissance, l’adoration du pouvoir de nuire. Ô son perpétuel sourire charmé, son amoureuse attention, la courbe déférente de son postérieur pendant que je parlais. Ainsi, dès que le grand babouin adulte entre dans la cage, ainsi les babouins mâles mais adolescents et de petite taille se mettent à quatre pattes, en féminine posture d’accueil et de réception, en amoureuse posture de vassalité, en sexuel hommage au pouvoir de nuire et de tuer, dès que le grand redoutable babouin entre dans la cage. Lisez les livres sur les singes et vous verrez que je dis vrai.
Babouinerie partout. Babouinerie et adoration animale de la force, le respect pour la gent militaire, détentrice du pouvoir de tuer. Babouinerie, l’émoi de respect lorsque les gros tanks défilent. Babouinerie, les cris d’enthousiasme pour le boxeur qui va vaincre, babouinerie, les encouragements du public. Vas-y, endors-le ! Et lorsqu’il a mis knock-out l’autre, ils sont fiers de le toucher, de lui taper dans le dos. C’était du sport, ça ! Crient-ils. Babouinerie, l’enthousiasme pour les coureurs cyclistes. Babouinerie, la conversion du méchant que Jack London a rossé et qui, d’avoir été rossé, en oublie sa haine et adore désormais son vainqueur.
Babouinerie, partout. Babouines, les foules passionnées de servitude, frémissantes foules en orgasmes d’amour lorsque paraît le dictateur au menton carré, dépositaire du pouvoir de tuer. Babouines, les mains tendues pour toucher la main du chef et s’en sanctifier. […]
Babouins, les crétins reçus par le dictateur italien et qui viennent ensuite me vanter le sourire séduisant de cette brute, un sourire si bon au fond, disent-ils tous, ô leur ravissement femelle devant le fort. Babouins, ces autres qui s’extasient devant quelque bonté de Napoléon, de ce Napoléon qui disait qu’est-ce que cinq cent mille morts pour moi ?
Babouines adoratrices de la force, les jeunes Américaines qui ont pris d’assaut le compartiment du prince de Galles, qui ont caressé les coussins sur lesquels il a posé son postérieur, et qui lui ont offert un pyjama dont chacune a cousu un point. Authentique. Babouine, la rafale d’hilarité qui a secoué l’autre jour l’Assemblée à une plaisanterie du Premier ministre anglais, et le président a manqué s’étrangler. Niaise, cette plaisanterie, mais le plus plaisantin est important et plus on savoure, les rires n’étant alors qu’approbation de la puissance.
Babouinerie et adoration de la force, le snobisme qui est désir de s’agréger au groupe des puissants. Et si le même prince de Galles oublie de boutonner le dernier bouton de son gilet ou si, parce qu’il pleut, il retrousse le bas de son pantalon, ou si, parce qu’il a un furoncle sous le bras, il donne des poignées de main en levant haut le bras, vite les babouins ne boutonnent plus le dernier bouton, , vite font retrousser le bas de leur pantalon, vite serrent les mains en arrondissant le bras. Babouinerie, l’intérêt pour les idiotes amours des princesses. Et si une reine accouche, toutes les dames bien veulent savoir combien son vermisseau pèse de kilos et quel sera son titre. Incroyable babouin aussi, cet imbécile soldat agonisant qui a demandé à voir sa reine avant de mourir.
Babouinerie, la démangeaison féminine de suivre la mode qui est imitation de la classe des puissants et désir d’en être. Babouinerie, le port de l’épée par des importants sociaux, rois, généraux, diplomates et même académiciens, de l’épée qui est signe du pouvoir de tuer. Babouinerie suprême, pour exprimer leur respect de Ce qui est le plus respectable et leur amour de Ce qui est le plus aimable, ils osent dire de Dieu qu’il est le Tout-Puissant, ce qui est abominable, et significatif de leur odieuse adoration de la force qui est pouvoir de nuire et en fin de compte pouvoir de tuer.
Cette animale adoration, le vocabulaire même en apporte des preuves. Les mots liés à la notion de force sont toujours de respect. Un « grand » écrivain, une œuvre « puissante », des sentiments « élevés », une « haute » inspiration. Toujours l’image du gaillard de haute taille, tueur virtuel. Par contre, les qualificatifs évoquant la faiblesse sont toujours de mépris. Une « petite » nature, des sentiments « bas », une œuvre « faible ». Et pourquoi « noble » et « chevaleresque » sont-ils termes de louange ? Respect hérité du moyen âge. Seuls à détenir la puissance réelle, celle des armes, les nobles et les chevaliers étaient les nuisibles et les tueurs, donc les respectables et les admirables. Pris en flagrant délit, les humains ! Pour exprimer leur admiration, ils n’ont rien trouvé de mieux que ces deux qualificatifs, évocateurs de cette société féodale où la guerre, c’est-à-dire le meurtre, était le but et l’honneur suprême de la vie d’un homme ! Dans les chansons de geste, les nobles et les chevaliers sont sans arrêt occupés à tuer, et ce ne sont que tripes traînant hors des ventres, crânes éclatés bavant leurs cervelles, cavaliers tranchés en deux jusqu’au giron. Noble ! Chevaleresque ! Oui, pris en flagrant délit de babouinerie ! À la force physique et au pouvoir de tuer ils ont associé l’idée de beauté morale !
Tout ce qu’ils aiment et admirent est force. L’importance sociale est force. Le courage est force. L’argent est force. Le caractère est force. Le renom est force. La beauté, signe et gage de santé, est force. La jeunesse est force. Mais la vieillesse, qui est faiblesse, ils la détestent. Les primitifs assommaient leurs vieillards. […]
Ce qu’ils appellent pêché originel n’est que la confuse honteuse conscience que nous avons de notre nature babouine et des ses affreux affects. De cette nature, un témoignage entre mille, le sourire qui est mimique animale, héritée de nos ancêtres primates. Celui qui sourit signifie à l’hominien d’en face qu’il est pacifique, qu’il ne le mordra pas avec ses dents, et pour preuve, il les lui montre, inoffensives. Montrer les dents et ne pas s’en servir pour attaquer est devenu un salut de paix, un signe de bonté, pour les descendants des brutes du quaternaire.
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Les génies savent que le génie c'est de la ténacité les crétins croient que c'est un don

p678
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Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et à aimer peu, et il leur faut des entretiens et des goûts communs et des cristallisations. Moi, ce fut le temps d’un battement de paupières. Dites-moi fou, mais croyez-moi. Un battement de ses paupières, et elle me regarda sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiède et sa transparence près du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né...
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"Aimé, hier soir je lisais un livre et soudain je me suis aperçue que je ne comprenais rien et que je pensais à vous."
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Fort, fort, elles n'ont que ce mot à la bouche. Comme elles ont pu m'en casser les oreilles! Toi, tu es fort, me disaient-elles, et j'avais honte. Une d'elles, plus excitée et plus femelle, me disait même Toi tu es un fort. Ce qui faisait plus fort encore et me rangeait dans la catégorie divine des grands gorilles. De honte et de dégoût, j'en avais mal aux dents, honte de cette bestialité, et envie de lui hurler que j'étais l'homme le plus faible de la terre. Mais alors elle m'aurait lâché. Or, j'avais besoin de sa tendresse, cette tendresse qu'elles ne donnent que si elles sont en passion, cette maternité divine des femmes en amour. Alors, pour avoir cette tendresse qui seule m'importait, j'achetais sa passion en faisant le gorille et, la honte au coeur, je virevoltais avec énergie, je m'asseyais avec certitude, je croisais les jambes à l'extrême limite de l'arrogance et j'argumentais brièvement, en dominateur.
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Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer. Moi, ce fut le temps d’un battement de paupières. Dites-moi fou, mais croyez-moi. Un battement de ses paupières, et elle me regarda sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiède et sa transparence près du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né, et je sus que personne avant elle, ni Adrienne, ni Aude, ni Isolde, ni les autres de ma splendeur et jeunesse, toutes d’elle annonciatrices et servantes. 
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