Dossard numéro 11. Des lettres blanches sur un carré noir et quelques plis, toujours les mêmes. Ce n’est plus qu’un corps noir qui tout absorbe et ne rend rien, c’est ce qu’on dira bientôt de moi sur les trottoirs et sur les ondes. C’est ce qu’on dira dans un instant car il faut patienter encore puisque je cours caché. Invisible et secret. Je me suis déchaussé juste avant le départ, c’est bien ce que je devais faire. Peut-être pour dire au monde qu’un homme venu les pieds nus peut en battre d’autres bien mieux vêtus. En vérité les chaussures donnent des ampoules, elles empêchent les ailes de se déployer. J’ai laissé mes chaussures dans une niche du petit cloître près du Capitole. Je vais pieds nus comme à la guerre et j’aime par-dessus tout le contact des pavés romains contre ma peau. Même si cela brûle, même si cela blesse et même si je reste à la merci du tranchant d'une pierre ou de la pointe d'un clou.
Depuis 1913 les athlètes courent toujours dans le sens antihoraire autrement leurs foulées ne semblent pas naturelles et les virages sont plus difficiles à négocier.
L'effort rend heureux ceux qui courent ; comme je cours depuis presque une heure, le savent mieux que les autres ceux qui courent comme je cours, ils ont un sourire complice et le vent de la course rend leurs yeux brillants.
La course est notre premier déplacement ; c'est celui de nos fuites et de nos conquêtes.
Le groupe des meneurs c'est cette étrange phalange où les premiers conduisent et les seconds ne font que pousser.
De là où je viens, papa (son entraîneur), on court pour vivre tout simplement.
On est presque au milieu du parcours et c’est ici que croit la vitesse absolue ; c’est ici que la fleur se déploie sans effort et qu’elle se débarrasse de ce qu’il a contenait difficilement. De l’oxygène et du sang, voilà les seuls ingrédients important !
Que dire de Mussolini et de son million de soldats alors qu'un seul aura suffi pour conquérir Rome ?
La seule façon d'être suivi c'est de courir plus vite que les autres, chante la Petite Voix. Ragaillardie.
La route est claire et propre comme une nappe - je l'effleure à peine pour ne pas y laisser de trace.