Un choc léger arrêtait Chéri, chaque fois, contre son image. Il ne comprenait pas pourquoi cette image n'était pas exactement l'image d'un jeune homme de vingt-quatre ans. Il ne discernait pas non plus les points précis où le temps, par touches imperceptibles, marque sur un beau visage l'heure de la perfection, puis l'heure d'une beauté plus évidente qui annonce déjà la majesté d'un déclin.
Et tu le juges, ce pauvre monde pourri, du haut de quoi ? Ton honnêteté, sans doute ?
Il s'arrêta pour regarder marcher, sur le Bois, une horde de nuées basses, d'un rose insaisissable, qu'un coup de vent abattait, empoignait par leur chevelure de brouillards, tordait, traînait sur les pelouses avant de les ravir jusqu'à la lune... Chéri contemplait familièrement les féeries lumineuses de la nuit que ceux qui dorment croient noire.
Elle réunit ses doigts sur sa bouche en baiser et Chéri détourna son regard vers la fenêtre, où l'ombre d'une branche fouettait le rayon de soleil à temps égaux, comme une herbe que bat l'onde régulière d'un ruisseau.
Il s'entêta à allumer sa cigarette humide. Il y renonça, la jeta sur balcon où les groisses gouttes de pluie rejaillissaient comme des sauterelles.
Il regarda, étonné, la nuit proche anéantir le bleu des aconits, lui substituer un bleu dans lequel la forme des fleurs fondait, cependant que le vert des feuillages persistait en masses distinctes.
Le soleil de deux heures, réverbéré, châtiait tristement le petit toit d'ardoises de l'ancienne écurie.
Il se leva, attiré par une carafe d'eau dont la buée lentement se condensait en larmes azurées.
Tous ses sens veillaient, allégés de pensée.
Le ciel, pâle de poussière suspendue, atténuait la palpitation des étoiles.