Une rencontre au bord de l'eau

Quand on connait des enfants placés, il y a une chose à éviter, à éviter à tout prix, leur faire des surprises. Ils en ont eu des surprises. Toutes les surprises possibles et imaginables. Des surprises comme : tu ne verras plus tes parents. Ou : tu n' habiteras plus ici. Ou : tu changes d'école. Ou encore : nous sommes désolés, mais ce placement ne s'est pas passé comme on l' espèrait.
Quand on veut témoigner son amour à un petit qui a eu une enfance difficile, il faut être totalement prévisible.

Elle trouva son père devant la cour de la ferme. Il était adossé au muret en pierres devant la propriété, surplombant l'embouchure de la route qui descendait au village. La vue valait le détour : des nuages bas dans l'immensité du ciel jusqu'aux rues pavées de Mure, en contrebas ; et par-delà; la mer. Eck ne faisait rien. Flora pensa qu'il appartenait à la dernière génération qui se satisfaisait de rester sans rien faire, sans jouer avec leur téléphone, mais simplement à rester debout, à attendre, à regarder.

La fillette avait les célèbres cheveux des selkies, pas seulement ternes comme ceux de sa tante, mais blanc argenté : une grande crinière ondulée. On aurait dit qu'ils pouvaient briller dans le noir. C'était aussi une créature ensorcelante, sûre d'elle et intimement convaincue que tout ce qu'elle disait était d'une importance capitale pour tout le monde. Quand Flora la regardait, elle se surprenait parfois à se demander ce qui arrivait aux filles en grandissant.

Mais pour l'essentiel, la vie sur l' île impliquait de partager. De faire communauté. De connaître ses voisins quand la neige venue du Grand Nord balayait l' île, que les nuits étaient sombres et qu'on était à cours de sucre ou qu'on avait égaré ses moutons dans les rochers escarpés, que son tracteur était embourbé dans un marécage, ou simplement parce qu'on avait besoin d'un peu de contact humain en ce bas monde. Une tasse de thé, une petite goutte de whisky et le délicat passage des saisons guérissaient presque tout.

Le danger existait sur Mure : les torrents non surveillés ; le mont par mauvais temps ; la mer, un jour où le contre-courant pouvait vous entraîner, et l'eau qui était toujours froide , même les plus chaudes journées d'été. Mais les dangers ordinaires ( circulation dense, kidnapping, inconnus et agressions ) n'existaient pas. Les enfants pouvaient jouer à leur guise.

- Je me sens juste... je me sens juste si...
Ces derniers mois, Saif avait découvert qu'en Occident, aller chez le médecin en disant qu'on se " sentait..." sans finir sa phrase était considéré comme une raison valable, parfaitement acceptable, pour bénéficier de soins médicaux. C'était nouveau pour lui. Avant même que la Syrie ne se transforme en zone de guerre, aller chez le médecin coûtait bien trop cher pour ne pas être sûr et certain d'avoir une raison claire, impérieuse, de le faire.

-Je me sens juste... Je me sens juste si...
Ces derniers mois, Saif avait découvert qu'en Occident, aller chez le médecin en disant qu'on se "sentait..." sans finir sa phrase était considéré comme une raison valable, parfaitement acceptable, pour bénéficier de soins médicaux.

Bramble, le gros chien de berger à la retraite qui piquait un somme près du feu, se leva des fois qu'elle fasse quelque chose d'intéressant, avant de s'en retourner à ses occupations quotidiennes : dormir, péter et attendre qu'on lui donne des viennoiseries.

-Il y a une porte de sortie. Je te le promets. Tu dois juste travailler plus dur que les autres. Ca ne paraît pas juste, et pas agréable, et tu penseras que personne ne s'intéresse à intéresse à toi, et tu auras peut-etre raison. Ce sera peut-etre le cas. Mais cela n'aura pas d'importance, parce que tu seras assez agé et sorti d'ici, et que tu pourras faire en sorte que le monde s'intéresse à toi. Cela prend juste du temps.
Caleb opina du chef.
- Eh bien, j'en aurai, du temps, fit-il remarquer avec audace. Parce que j'aurai votre montre!
-Tu auras ma montre, répéta Joel, à cran, puisqu'ils approchaient du portail de la ferme et qu'il n'était pas certain de l'accueil qui lui serait réservé.

Elle nourrissait l’idée romantique, ou l’avait nourrie par le passé , que, quand on était avec la bonne personne , on pouvait deviner comment elle se portait même si elle était loin de nous. On pouvait entrer en connexion avec elle , voir dans une étoile ou sentir dans un nuage qui passait comment elle allait et quand elle pensait à nous .