[...] elle se rappela ce que sa mère disait : Dieu avait fait en sorte de rendre les adolescents insupportables pour que les parents se réjouissent lorsqu'ils quittent le nid familial. Ce qui expliquait beaucoup de choses.

Patrick, le véto, était assis à la table voisine.
– Salut, dit Polly avec un sourire. Je peux te poser une question ?
[...]
– Est-ce que c’est l’une de ces questions où l’on fait semblant de s’interroger sur un animal qui a la même taille et le même poids que toi, avant de se rendre compte qu’il s’agit de toi et que tu ne veux pas appeler le docteur ?
[...]
– Hum, non, déclara Polly. Ça arrive souvent ?
[...]
– Tout le temps. C’est pour quoi ? C’est pas au sujet de ton oiseau, si ?
[...]
– Je crois qu’il a des difficultés relationnelles, commença Polly.
[...]
– En fait, je ne suis pas vraiment psychologue pour oiseaux…
– Il n’a pas de copains oiseaux. Les mouettes ne sont que des grosses brutes et les autres macareux… Je crois qu’ils se moquent de lui.
– Eh bien, cesse de l’obliger à porter une veste.
– Ce n’est arrivé qu’une seule fois. Quand il a fait froid, plaida-t-elle.
– Et je ne suis toujours pas convaincu par ces bottes en caoutchouc…
– C’est vrai, admit Polly. Les bottes en caoutchouc étaient une erreur, tout bien considéré.
– Faut pas abuser !, lança Huckle à Neil qui s’était posé sur la manche de sa veste – ce qu’il ne faisait pas d’habitude –, fixant Polly d’un air blessé.
– Je ne l’ai abandonné nulle part, corrigea Polly, exaspérée. Les oiseaux ne sont pas censés se trouver sur un lieu de travail. Il devrait être en train de sautiller sur les rochers à la recherche d’une madame macareux.
– Ou un monsieur macareux, rectifia Huckle. Selon moi, tu ne devrais pas avoir de tels préjugés.
Polly le regarda droit dans les yeux.
– Es-tu en train de me traiter d’homophobe du règne animal ?
– Non, je suis simplement en train de dire qu’il faut que nous restions ouverts à tous les choix de Neil.
– Sauf celui d’entrer dans la boutique !
Et au-delà de la fenêtre, il y avait...rien. Juste la nature, un plongeon direct dans l'espace extérieur (...) La photo avait été prise un jour où l' océan et le ciel, de la même nuance de gris, se fondaient l'un dans l'autre. Une vaste étendue vierge. Polly contempla le cliché un long moment, fascinée.
En fait, ce paysage correspondait exactement à son état d'esprit. Désincarné, vide. Mais aussi étrangement apaisant. Comme si le gris adoucissait les contours de ce monde. Un gris salvateur.(p. 33)
- Ça ne sert à rien de devenir amère parce qu'il y a des connards sur terre . S'il n'y avait pas de connards, tu ne saurais pas repérer les gens bien .
Lorsque tu as trouvé l'endroit où ancrer ton coeur, il reste à jamais en toi.
Quand on connait des enfants placés, il y a une chose à éviter, à éviter à tout prix, leur faire des surprises. Ils en ont eu des surprises. Toutes les surprises possibles et imaginables. Des surprises comme : tu ne verras plus tes parents. Ou : tu n' habiteras plus ici. Ou : tu changes d'école. Ou encore : nous sommes désolés, mais ce placement ne s'est pas passé comme on l' espèrait.
Quand on veut témoigner son amour à un petit qui a eu une enfance difficile, il faut être totalement prévisible.
Parfois, quand vous êtes au large, et qu'il n'y a que vous au milieu de toute cette eau et rien d'autre, et que c'est le milieu de la nuit, et avec toutes ces étoiles au-dessus de votre tête, trop loin du phare pur en deviner même la lueur, vous vous sentez appartenir, comment dire, à quelque chose de tellement plus grand que vous…
Dieu avait fait en sorte de rendre les adolescents insupportables pour que les parents se réjouissent lorsqu'ils quittent le nid familial.
Je crois qu'on dit adieu à sa jeunesse, (...). pour de bon. Quand on a des enfants. Vous ne croyez pas ?
- Ce n'est plus pareil.
(...)
- On ne peut plus faire ce qu'on veut, aller où on veut. Je me rappelle la première fois que j'ai réalisé que si je mourais, ce serait une catastrophe. Pas pour moi, mais pour lui, vous voyez.