Cette BD sous-titrée « enquête sur les années de plomb de la Ve République » porte sur plusieurs affaires qui ont secoué les années 70 en France : l'assassinat du juge Renaud à Lyon le 3 juillet 1975, celui du ministre du travail
Robert Boulin le 30 octobre 1979, et la tuerie du chef du SAC marseillais à Auriol en 1981. le SAC, service d'Action Civique, sorte de milice fidèle au général
De Gaulle, sert de fil directeur à cette BD incroyablement documentée, menée tambour battant par deux hommes en quête de vérité :
Etienne Davodeau, dessinateur et Benoît Collombat, journaliste d'investigation, grand spécialiste de ces sujets. Une collaboration ô combien fructueuse dans un ouvrage haletant !
Première planche : les deux auteurs se rendent devant le domicile du juge Renaud à Lyon, en octobre 2013 : « c'était la première fois depuis la libération qu'un haut magistrat était assassiné », les deux auteurs évoquent Lyon puis le SAC et c'est parti pour 218 pages d'une enquête qui mêle rencontres diverses, lecture d'archives, interviews...
La BD est passionnante parce qu'elle a montre l'alliance de deux auteurs qui unissent leurs forces : Collombat apporte sa fine connaissance de ces affaires et Davodeau retranscrit en dessins sa compréhension des faits. Ils se mettent en scène pour mieux illustrer leur collaboration, cf. page 48 où ils évoquent leur démarche. Ils forment donc un duo de personnages, au même titre que tous ceux dont ils parlent. Ils restent néanmoins dans leur périmètre d'enquêteurs, ce qui n'empêche pas quelques petits détails, souvent amusants, qui s'échappent presque du récit, le rendent attachant, petites pauses qui permettent au lecteur de respirer : les guêpes qui s'invitent au repas préparé par un magistrat à la retraite, les rires des auteurs qui découvrent les dépositions de certains membres du SAC, le fait que certains témoins ne souhaitent pas être dessinés avec leur visage actuel, préférant une photo les représentant jeunes…
La BD est truffée de ces détails qui humanisent le récit, mais plus on avance dans la lecture, plus on s'enfonce dans un marécage de faits sombres : « Alors ? C'était quoi, le SAC ? Les silences et les hésitations de certains de nos interlocuteurs nous en apprennent peut-être autant que leurs réponses. le SAC, c'était cette zone grise de la Ve République dont on n'aime pas vraiment se souvenir » (page 117)
La construction de la BD me laisse cependant un peu perplexe. A la fin de ma lecture, j'ai du mal à trouver une cohésion d'ensemble, même s'il y a un fil directeur, celui du SAC. Mais il faut dire que l'enquête est vaste et en couvrant plusieurs évènements marquants, on pouvait se perdre un peu en chemin. J'aurais aimé une table des matières, ou un récit structuré en chapitres, afin de mieux suivre, et aussi une liste des personnes citées (avec les pages où elles apparaissent !), car parfois je ne retenais pas les noms, je devais revenir en arrière pour mieux comprendre. Mais en disant cela, et en relisant la BD, le découpage est pourtant clair, lié à la chronologie des faits relatés. Les hommes et femmes rencontrés pour les besoins de l'enquête forment des récits à la suite les uns des autres. Certaines rencontres sont plutôt extraordinaires, comme celle du cinéaste
Yves Boisset relatée dans les planches 50 à 54. Autre chapitre intéressant, de la page 121 à 144, l'évocation des rapports mouvementés entre le SAC et le patronat, enclin à l'appeler pour « contrer l'influence » des syndicats et empêcher les grèves dans les entreprises. Que dire aussi des braquages de banques pour financer des campagnes électorales ? Edifiant !
Quant à la dernière partie de la BD, la mort du ministre du travail
Robert Boulin en 1979 en forêt de Rambouillet, les auteurs vont de découvertes en découvertes, et décortiquent minutieusement un « suicide » étonnant. L'occasion pour Davodeau, page 158, de faire une « parenthèse promotionnelle » pour Collombat, qui a écrit un livre sur le sujet ! (« Un homme à abattre, contre-enquête sur la mort de
Robert Boulin »).
La « douce France, le cher pays de notre enfance », chanté par
Trenet, en prend un coup. La BD, toute en noir et blanc, sauf sur la couverture, est renversante et instructive. Les dessins de Davodeau sont précis et traduisent simplement les réactions des personnages interrogés, ou pas, comme ces intermèdes où les auteurs tentent d'interroger
Pasqua (avant sa mort qui survient pendant l'écriture de la BD).
Un ouvrage hautement instructif publié par l'éditeur Futuropolis, qui se lit comme une fiction mais qui malheureusement n'en est pas une. A découvrir !