Deux fois déjà j'avais tenté la lecture de ce livre (que j'avais acheté en 2005…), mais à chaque fois, j'ai abandonné, car je le trouvais trop complexe. Mais je m'y suis replongé à l'occasion de l'élection d'
Antoine Compagnon à l'Académie française, et non seulement j'y suis venu à bout mais j'y ai même pris du plaisir. Lors de cette troisième tentative, je l'ai même trouvé assez clair, et en tout cas construit de façon pédagogique : ainsi, ce n'est évidemment pas un livre qu'on lit d'une traite, mais ses chapitres sont divisés en sections d'une dizaine de pages environ qu'on peut lire en une seule session et qui font à chaque fois le point sur un aspect précis de la discussion théorique.
C'est pour moi une lecture très stimulante, et un livre que je consulterai parfois, car il offre un panorama assez vaste des différentes théories littéraires tout en pointant leurs limites. Il m'a permis aussi de découvrir la critique et les théories anglo-saxonnes, que je n'avais jamais abordées durant mes études de lettres. En revanche, il pointe les ambitions démesurées et les limites du structuralisme, des théoriciens comme
Barthes, Riffaterre, enfin tout ce qu'on a appelé la French theory et qui fait encore autorité en France. D'ailleurs la complexité qui m'avait rebuté lors de mes premières lectures est plutôt celle de ces théoriciens structuralistes. Ne vous laissez pas impressionner par elle, semble suggérer Compagnon avec une pointe d'ironie, car elle est révélatrice d'une démarche qui se complaît, voire s'égare, dans le refus du discours traditionnel
sur la littérature, mais qui, quand elle perd ses prétentions à la scientificité, devient jeu rhétorique et sophistique. Car enfin, si la littérature ne dit rien sur le monde, si elle n'apporte rien que le lecteur ne mobilise déjà en lisant, et si rien d'objectif ne peut être dit, pourquoi lire ?
Mais que retenir de ce livre ? On oublie vite les positions des différents théoriciens et les subtilités de leurs raisonnements… Compagnon affirme dans sa conclusion son intention de faire se questionner les amateurs de littérature sur leurs a priori, et sortir d'une approche naïve. Cependant, je ne conseillerais pas ce livre à qui ne se serait pas frotté déjà un peu à la théorie littéraire, notamment à
Roland Barthes. Autrement dit, il ne me semble pas fait pour ceux qui auraient une approche naïve de la littérature et ne se seraient pas auparavant questionnés sur les problèmes qu'il traite. C'est pourquoi j'ai parfois été déçu que l'auteur laisse parfois son lecteur au bout du chemin, livré à ses questionnements, et sans lui donner de réponse. La démarche de Compagnon, qui suit en cela la méthode de
Montaigne, est pyrrhonienne : il s'agit d'opposer des thèses opposées pour conclure à une aporie, mais cela relève parfois du procédé. Par exemple, dans le chapitre consacré à la fonction de la littérature, il expose sa définition « humaniste », instruire et plaire, puis rappelle qu'elle a été critiquée, notamment par des écoles marxistes, comme « bourgeoise ». Il conclut donc à l'aporie, même si la réfutation de la première définition est bien faible. J'aurais aimé, même si je comprends que cela ne correspond pas à sa démarche, que l'auteur prenne plus clairement position et affirme ses choix personnels, fussent-ils éminemment subjectifs et peu soutenus par la théorie et ses démons.