Citations sur Lord Jim (88)
La tête du magistrat, d'une pâleur délicate sous la chevelure bien coiffée, faisait penser à la tête d'un malade incurable à qui l'ont vient de faire la toilette et de brosser les cheveux, et que l'ont a assis, bien calé dans son lit.
Dans aucun autre métier, sûrement, autant que dans celui de marin, le coeur de ceux qui sont déjà lancés au large pour y sombrer ou y surnager ne se porte vers le jeune qui est encore sur le bord, à contempler de ses yeux brillants ce scintillement de la vaste surface qui n'est que le reflet de ses propres regards pleins de feu.
La minute suivante - la dernière qu'il passa à bord du navire - fut remplie d'une foule confuse d'évènements et de sensations qui déferlèrent sur lui comme la mer sur un rocher. J'emploie cette image à dessein, parce que, si j'en crois son récit, il me faut admettre que pendant que tout cela se déroulait il avait gardé l'illusion étrange qu'il était resté passif, comme s'il n'avait pas agi mais s'était abandonné aux mains des puissances infernales qui l'avaient choisi pour victime de leur sinistre plaisanterie.
Et je me rappellerais alors un petit blanc-bec ahuri, accompagné par une mère et peut-être une grande soeur restées sur le quai, très calmes, mais trop émues pour agiter leur mouchoir en signe d'adieu au bateau qui glisse lentement et s'en va entre les musoirs des môles; ou peut-être était-ce un père très digne, entre deux âges, arrivé en avance avec son garçon pour assister à son départ, et qui reste toute la matinée, apparemment parce qu'il est fasciné par le guindeau, et qui s'attarde tant et si bien qu'il est finalement obligé de descendre à quai précipitamment, sans avoir du tout le temps de faire des adieux.
Et la chance se tenait à son côté,voilée comme une fiancée orientale attendant que la main du maître découvre son visage.
L’homme est étonnant, mais pas un chef d’œuvre, dit-il, en gardant toujours les yeux fixés sur la vitrine. Peut-être que l’artiste a eu un petit moment de folie. Hein ? qu’en pensez-vous ? quelquefois il me semble que l’homme est venu là où il n’a que faire, où il n’y a pas place pour lui ; sinon, pourquoi voudrait-il prendre toute la place ? pourquoi courrait-il à droite et à gauche en menant grand tapage autour de lui-même, en parlant des étoiles, en dérangeant les brins d’herbes ?
Deux vieilles filles nomades, en robe d'apparat, consultaient la carte avec acrimonie, en échangeant des murmures de leurs lèvres fanées; étranges visages de bois, elles faisaient l'effet de deux épouvantails somptueux.
Le coeur humain est assez grand pour contenir tout l'univers. Il est assez vaillant pour en supporter le fardeau ; mais où trouver le courage qui le libérerait de ce fardeau ?
... il se peut que ce soit cet émoussement même des facultés qui, pour l'incalculable majorité des gens, rend la vie si supportable et si plaisante.
Il y a de multiples degrés dans le péril des aventures et des tempêtes, et c’est de temps à autre seulement que s’affirme avec certitude une violence d’intention sinistre, ce quelque chose d’indéfinissable qui impose la conviction à l’esprit et au cœur d’un homme que cette complication d’accidents ou cette fureur des éléments s’attaquent à lui avec un parti pris de malice, avec une force sans contrôle, avec une cruauté déchaînée, qui veulent lui arracher espoirs et terreurs, fatigue douloureuse et soif de repos ; qui veulent briser, détruire, anéantir tout ce qu’il a vu, connu, goûté, aimé ou haï, tout ce qui est nécessaire et sans prix : le soleil, les souvenirs, l’avenir ; qui veulent balayer à jamais de son être tout un monde précieux, par le fait tout simple et effroyable de son anéantissement.