C'est chaud, c'est moite, on sent l'atmosphère et le climat pesants.
Chez Conrad tout est travaillé tant les personnages que les décors. Avec une langue simple on peut avoir une très belle écriture claire précise et juste.
Conrad est vraiment un très grand auteur!
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L'histoire est celle d'un homme exilé aux fin fonds de la Malaisie, dévoré par une passion cruelle et un climat malsain, suffoquant, qui l'entraînent dans des manigances qui aboutiront à sa perte. le style est d'une grande richesse, notamment pour les descriptions de la nature.
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"Un soupir sous l'azur embrasé, un frisson de la mer endormie, un souffle frais comme si l'on eût soudain ouvert une porte sur les étendues glacées de l'univers, et dans un remuement de feuilles, dans une inclinaison de branches, dans le tremblement de rameaux élancés, la brise marine frappa le rivage, remonta impétueusement le fleuve, s'engouffra dans ses larges lignes droites, et poursuivit son voyage dans le doux frémissement de l'onde assombrie, le murmure des branches, le bruissement des feuilles des forêts réveillées."
Avec son deuxième roman, An Outcast of the Islands, publié en 1896, Conrad retourne sur les lieux de son crime originel. Le lecteur y retrouve donc le village de Sambir, élevé sur les rives de la Pantaï et dans lequel grouillent, telles des bactéries pyogènes dans la cavité d'un abcès, quelques blanches épaves humaines parmi d'ombrageux indigènes. Conrad ne cesse de gratter ce microcosme phlegmoneux, dérisoire miroir tendu à notre triste humanité. Moiteur, chaleur et putréfaction...
On y éprouve une âpre jouissance à se colleter corps à corps avec sa cohorte de tristes héros ou laissés-pour-compte parmi lesquels le Capitaine Lingard, Almayer, Babalatchi ou Abdullah (cf. La folie Almayer). Dans cette insigne préquelle, on suit la lente dérive de Willems, échoué dans ce coin de jungle paumé.
Dans le premier chapitre, Conrad nous dresse le portrait sans concession de cet imbécile flamboyant, baudruche gonflée de sa propre outrecuidance, ne doutant de rien ni de personne. Un détournement d'argent va entraîner sa débâcle : sans travail, ni famille (sa femme le désavoue crûment), il trouve refuge, grâce à Tom Lingard, son mentor, à Sambir, le temps de se faire oublier.
Sa passion érotique pour la sauvageonne Aïssa va précipiter sa dégringolade. L'amour dévorateur qui unit Willems à sa farouche amante commence par l'un des coups de foudre les plus radicaux qu'il m'ait été donné de lire. "Une ombre passa sur le visage de Willems. Il mit sa main sur ses lèvres comme pour retenir les mots qui voulaient s'en échapper dans l'élan d'une impulsive nécessité, aboutissement d'une pensée obsédante qui se précipite du coeur au cerveau et qui exige d'être exprimée en dépit du doute, du danger, de la peur, de la destruction elle-même. "Vous êtes belle", murmura-t-il." Malaise en Malaisie...
Dans cette éprouvante radiographie d'une déchéance, le style de Conrad s'enflamme souvent et sublime d'une palette chatoyante l'enfer vert de Bornéo.
Metteur en scène attentif aux attitudes de chacun de ses personnages, Conrad les dessine dans l'espace, soucieux du moindre geste de la main ou du bras et ses silhouettes s'incarnent dans une réalité soudain tangible. Plus faible dans ses dialogues qui frôlent l'artificialité, il tient en haleine le lecteur éreinté par une construction habile qui mêle flashbacks et ruminations intérieures, portraits au fusain et panoramas à l'aquarelle. Ses fulgurances nous accompagnent longtemps et sa modernité nous harponne définitivement (l'ultime chapitre est faulknérien).
Vivats passionnés pour ce très beau livre.
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