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En sortant de la lecture de Un paria des îles, j'avais cette impression gluante de la peau qui colle comme au sortir d'une étuve suffocante. le style de Conrad étouffe et lessive l'esprit comme un serpent constricteur : il ne lâche pas sa proie ; il ne laisse pas respirer. En plus de tout dire, de tout déballer, il nous noie sous la saturation de la description du malheur et crée une distorsion irritante.

L'atmosphère de ce roman est pestilentielle. C'est son deuxième roman et le deuxième de sa trilogie malaise écrite à rebours. Il relate ce qui précède La folie Almayer et fait suite à La rescousse. Il n'atteint pas ici l'équilibre de Au coeur des ténèbres et ressemble plus à Lord Jim qui est lui aussi un amas de strates saturées.

J'ai retrouvé l'abondance des adjectifs introduisant des effets de dissonance caractéristiques de Joseph Conrad. Il fait partie des écrivains qui ont le mieux su décrire la folie. Il fait plus que la dépeindre : il l'induit dans l'esprit du lecteur et l'y enveloppe tout entier jusqu'à ce qu'il ne puisse plus respirer autre chose. On ne sort pas indemne d'une telle lecture. À quoi bon ces réitérations dissonantes sinon pour faire vaciller les repères de la réalité ?

Conrad, c'est l'inquiétude, l'angoisse, le culte du malsain qui se limite à la surface des choses, saoule d'apparences et joue sans cesse sur ce contraste qu'il décline inlassablement entre lumière et ténèbres. C'est cette dualité que renferme l'écrasante majorité des images qu'il utilise. Il manque de subtilité et rabâche les obsessions de ses propres angoisses existentielles. Son livre est trop homogène pour que sa densité paraisse une richesse. Conrad enterre l'esprit du lecteur sous une montagne uniforme de mottes compactes et s'étonnait de ne pas connaître la moitié du succès de Kipling !

Il a vécu toute sa vie à travers les filtres de la faute, du péché, de la solitude, de l'incompréhension. Ses protagonistes sont voués à la damnation. C'était bien un catholique. Toute la vision de Conrad est en ombres chinoises. Dans l'esprit du lecteur, il n'allume pas un feu, il y souffle une fumée épaisse.
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Conrad, dans ce second roman publié en 1896, reprend les personnages et le lieux de la Folie Almayer qu'il avait situé sur les bords d'une rivière orientale du côté de Bornéo.

Cette nouvelle intrigue se déroule quelques années plus tôt. Il y met en scène la déchéance progressive de Willems, son personnage principal. Ce dernier ayant commis des malversations au sein de la maison Hudig et Cie, est protégé par le capitaine Lingard qui l'éloigne et le débarque dans l'un de ses comptoirs à Sambir, ville qui s'ouvre sur les bords d'un fleuve dont le nom n'est jamais cité. Almayer y gère les affaires de Lingard, mais ayant été quelques années plus tôt sous les ordres Willems, une antipathie vive oppose très rapidement les deux hommes. Elle conduira alors Willems à trahir les intérêts même de son protecteur. Cette trahison sera l'une des conséquences désastrueuses de sa rencontre avec une très belle indigène vivant de l'autre côté du fleuve qui le subjuguera dès le premier regard. La passion et le désir qu'il éprouvera pour elle le conduira à tous les renoncements oscillant constamment entre remord existentiel et désir d'autant plus coupable qu'il est marié à Joanna dont il a un jeune fils Louis.

Les turpitudes de Willems seront d'autant plus exacerbées que l'isolement auquel il est contraint blessent son orgueil démesuré. La moiteur et la chaleur émolliente des tropiques semblent dans le même temps faire perdre à lui comme à Almayer toute dignité et toute retenue laissant libre cours à leurs passions les plus viles. Comme Conrad le reconnait dans sa note introductive de 1919, il s'agit du plus tropical de ses récits orientaux. On y retrouve également sa critique du colonialisme dont "Au coeur des ténèbres" sera l'oeuvre la plus emblématique, elle aussi se déroulant sur les bords d'un fleuve.

A travers ce roman et au delà d'une structure narrative qui signera l'ensemble de ses oeuvres, Conrad s'affirme dans ce qui fera plus tard sa marque : des personnages au destin à la puissance évocatrice confrontés à leurs dilemmes et leurs misères intérieures et auxquels il ne peuvent échapper.

Enfin, la mer est également. Cette mer dont Conrad reconnaitra que la Folie Almayer n'avait rien à voir aussi bien par la pensée que l'émotion et que cette part de lui-même s'en trouvait grandement ébranlée.
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Mon premier Conrad, un coup de foudre littéraire qui présida à une longue histoire entre l'Oeuvre de l'auteur et le lecteur que je suis. Coup de foudre à l'égal de celui qui tonne entre Willems et Aïssa et qui, à ce jour, reste le plus beau que j'ai lu. Envoutant et magique.
Lien : https://www.tristan-pichard...
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C'est chaud, c'est moite, on sent l'atmosphère et le climat pesants.
Chez Conrad tout est travaillé tant les personnages que les décors. Avec une langue simple on peut avoir une très belle écriture claire précise et juste.
Conrad est vraiment un très grand auteur!
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Un Paria des îles fut écrit après "La Folie Almayer", le premier roman de Joseph Conrad. Il reprend les mêmes lieux et on y retrouve quelques personnages (Almayer, Lingard, Babalatchi), mais dans un temps antérieur. Dans un univers sauvage et reculé, entouré par les lourdes eaux d'un fleuve, le lointain horizon de la mer et la majesté de la forêt tropicale, des êtres s'épient, s'aiment et se haïssent, des communautés tentent de cohabiter, des intrigues se nouent.
Le style très emphatique de Conrad donne une belle ampleur aux descriptions des paysages, aux sentiments et aux émotions des personnages.
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Un second roman de Conrad, "prequel" qui donne une étonnante profondeur au premier "la folie Almayer", contant l'origine de Sambir, l'arrivée des Arabes, la perte de contrôle du fleuve, mais dressant surtout de saisissants portraits d'hommes et de femmes aux cultures, aux intérêts et aux aspirations différents. Lingard, Willem, Aissa, Almayer, chacun existe pleinement dans cet univers romanesque et tragique. Les monologues intérieurs sont dignes d'un Dostoievski ivre, proches de la folie furieuse. Conrad raconte le basculement, l'influence de la jungle cruelle. Un second roman et déjà une oeuvre qui compte !
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L'histoire est celle d'un homme exilé aux fin fonds de la Malaisie, dévoré par une passion cruelle et un climat malsain, suffoquant, qui l'entraînent dans des manigances qui aboutiront à sa perte. le style est d'une grande richesse, notamment pour les descriptions de la nature.
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"Un soupir sous l'azur embrasé, un frisson de la mer endormie, un souffle frais comme si l'on eût soudain ouvert une porte sur les étendues glacées de l'univers, et dans un remuement de feuilles, dans une inclinaison de branches, dans le tremblement de rameaux élancés, la brise marine frappa le rivage, remonta impétueusement le fleuve, s'engouffra dans ses larges lignes droites, et poursuivit son voyage dans le doux frémissement de l'onde assombrie, le murmure des branches, le bruissement des feuilles des forêts réveillées."

Avec son deuxième roman, An Outcast of the Islands, publié en 1896, Conrad retourne sur les lieux de son crime originel. Le lecteur y retrouve donc le village de Sambir, élevé sur les rives de la Pantaï et dans lequel grouillent, telles des bactéries pyogènes dans la cavité d'un abcès, quelques blanches épaves humaines parmi d'ombrageux indigènes. Conrad ne cesse de gratter ce microcosme phlegmoneux, dérisoire miroir tendu à notre triste humanité. Moiteur, chaleur et putréfaction...

On y éprouve une âpre jouissance à se colleter corps à corps avec sa cohorte de tristes héros ou laissés-pour-compte parmi lesquels le Capitaine Lingard, Almayer, Babalatchi ou Abdullah (cf. La folie Almayer). Dans cette insigne préquelle, on suit la lente dérive de Willems, échoué dans ce coin de jungle paumé.

Dans le premier chapitre, Conrad nous dresse le portrait sans concession de cet imbécile flamboyant, baudruche gonflée de sa propre outrecuidance, ne doutant de rien ni de personne. Un détournement d'argent va entraîner sa débâcle : sans travail, ni famille (sa femme le désavoue crûment), il trouve refuge, grâce à Tom Lingard, son mentor, à Sambir, le temps de se faire oublier.

Sa passion érotique pour la sauvageonne Aïssa va précipiter sa dégringolade. L'amour dévorateur qui unit Willems à sa farouche amante commence par l'un des coups de foudre les plus radicaux qu'il m'ait été donné de lire. "Une ombre passa sur le visage de Willems. Il mit sa main sur ses lèvres comme pour retenir les mots qui voulaient s'en échapper dans l'élan d'une impulsive nécessité, aboutissement d'une pensée obsédante qui se précipite du coeur au cerveau et qui exige d'être exprimée en dépit du doute, du danger, de la peur, de la destruction elle-même. "Vous êtes belle", murmura-t-il." Malaise en Malaisie...

Dans cette éprouvante radiographie d'une déchéance, le style de Conrad s'enflamme souvent et sublime d'une palette chatoyante l'enfer vert de Bornéo.

Metteur en scène attentif aux attitudes de chacun de ses personnages, Conrad les dessine dans l'espace, soucieux du moindre geste de la main ou du bras et ses silhouettes s'incarnent dans une réalité soudain tangible. Plus faible dans ses dialogues qui frôlent l'artificialité, il tient en haleine le lecteur éreinté par une construction habile qui mêle flashbacks et ruminations intérieures, portraits au fusain et panoramas à l'aquarelle. Ses fulgurances nous accompagnent longtemps et sa modernité nous harponne définitivement (l'ultime chapitre est faulknérien).

Vivats passionnés pour ce très beau livre.
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