Recueil de plusieurs longues nouvelles n'ayant pas grand chose à voir entre elles quant aux sujets, sinon que deux se passent en Asie . le titre en français ne sonne pas très bien je trouve mais est censé nommer un point commun entre les différents récits : les personnages ne sont pas sereins, c'est le moins que l'on puisse dire. le recueil était paru sous le titre "tales on the unrest", ce que je traduirais après l'avoir lu, par exemple par "histoires (ou récit) de non-repos" (ce qui ne serait pas terrible non plus) ou, selon le récit, " récits de l'intranquillité" (en clin d'oeil à
Pessoa). Voici mes notes sur chacune d'entre elles.
Karain : un souvenir : il émane de Conrad, dans cette nouvelle comme dans le Nègre du Narcisse par exemple, une étrangeté envoûtante, un charme mystérieux, comme une légère vapeur d'opium, quand l'action se passent en Asie, comme dans celle-ci, du côté de Java, Sumatra, dans un temps révolu. Nous rencontrons un chef, un roi, qui a perdu la confiance en sa puissance à l'issue de sa trahison vis-à-vis de son plus grand ami par fidélité vis-à-vis de lui-même. Il est désormais sans repos ( d'où le unrest du titre du recueil sans doute) et des marins soldats anglais tentent de l'aider en l'écoutant, d'abord, et en le mystifiant..
Les Idiots est un drame dans le décor que l'on peut trouver âpre du Trégor (où Conrad avait séjourné une demi-année) qui est un personnage à part entière des misères qui s'y produisent.. Personnellement j'apprécie qu'il ait eu envie d'y écrire et ce texte devrait faire partie d'une prochaine anthologie bretonne, si ce n'est déjà fait.
Un Avant-Poste du Progrès se déroule en Afrique - comme
au Coeur des Ténèbres - que Conrad a connu aussi au cours de ses 40 années de marin. Simplement et efficacement écrit, ce texte montre de manière à la fois lucide, intelligente (je crois que Conrad était très intelligent, clairvoyant..) et ironique, que toute tentative de "blancs" de rester en Afrique, d'y commercer en se comportant en maîtres autoproclamés, est probablement vouée à l'échec et, au minimum, déstabilisatrice (euphémisme..) pour les populations locales et finalement néfastes pour tout le monde.. N'oublions pas qu'on est "seulement" dans la seconde partie du XIX e siècle, quand l'ambition coloniale est en train de se faire.., ce qui est une preuve de plus de la clairvoyance de Conrad. Il y a dans ce texte un peu une ambiance à la "coup de torchon" de
Bertrand Tavernier..
Comme quelques-uns ici, peu nombreux , le texte qui m'a le plus plu, voire impressionné - d'où mes 4 étoiles -, est le Retour, remarquablement écrit, où Conrad nous présente un jeune arriviste dont le sens de l'existence - croit-il - est de continuer à "s'élever" dans la "upper class" londonienne d'affaires de la City de la fin du XIXe siècle, déjà... Je ne suis donc pas du tout d'accord avec la fiche wiki sur ce livre qui dit que ce texte est "anecdotique" dans l'oeuvre de Conrad. Il n'est pas anecdotique il est atypique quant au sujet mais remarquable quant à la qualité !
Dans, notamment, les pages 157 à 161 de l'édition Folio, Conrad exprime, encore avec un talent très juste, en mots une intelligence, une lucidité à comprendre et décortiquer
les pensées, sentiments et émotions humaines. N'est-ce pas le but plus ou moins conscient de la plupart des écrivains, comprendre et dire l'humain ? Eh bien j'ai rarement lu un texte aussi juste sur cela.
C'est surtout vrai dans la première partie de ce texte où le personnage principal est seul, stupéfait et désorienté. La scène dans la chambre avec son épouse peut paraître longue mais cette longueur permet de confirmer peu à peu - il se révèle et se trahit - ce que le lecteur avait probablement deviné, que le personnage n'avait aucun sentiment amoureux pour son épouse et qu'il n'a qu'une ambition sociale et qu'elle sauve les apparences, le noeud de sa motivation et de ses réactions, qu'elle joue le jeu social qui lui importe.
La fin de ce texte me paraît remarquable car l'énonciation de l'évolution des pensées de Alvan (l'époux, personnage principal) - même si cette énonciation est bardée de phrases longues où les couples noms communs/adjectifs sont légions - devient presque lyrique à la manière du Dorian Gray d'
Oscar Wilde (qui - c'est mon hypothèse - nonobstant son homosexualité aurait pu inspirer à Conrad le personnage rapidement évoqué de l'amant).
Le passage de l'ombre de la domestique qu'Alvan imagine monter vers lui, tapi dans la pénombre, est autant visuellement riche que dans un film de Welles ( les livres m'évoquent souvent des films).
La fin du texte est une fuite et j'ai imaginé croiser cet homme qui "quitte tout" dans d'autres livres de Conrad en divers lieux du monde, les plus éloignées possibles de l'Angleterre où Conrad vécut.
Ce texte est vraiment, à mes yeux, du grand art et je serais curieux de voir l'adaption "très libre" cinéma de
Patrice Chéreau en 2005 avec
Isabelle Huppert et pascal Grégory (autant Huppert me paraît possible, autant je n'avais pas imaginé P. Grégory. J'aurais préféré que ce soit
Woody Allen qui fasse le film).
La lagune clôt le recueil et nous ramène en Asie avec là encore un récit dans le récit et s'approche du genre ethnographique asiatique, sans avoir, pour moi, plus d'intérêt que cela.
En conclusion je dirais que le Retour est vraiment un texte à lire,
un avant-poste du progrès pourquoi pas et les idiots quand on connaît les lieux. Les deux récits asiatiques sont pour les fans de ces lieux.