AdolpheBenjamin Constant (1767-1830)
Ce bref roman autobiographique, qui est en somme la confession d'
Adolphe, demeure un grand classique, peut-être le dernier de la période dite classique, précédant la période romantique. Autobiographique car il s'agit en effet de la transposition de la liaison orageuse de
B. Constant avec
Madame de Staël.
Benjamin Constant de Rebecque naquit à Lausanne en 1767. Après des études sérieuses à Oxford puis en Allemagne et en Écosse, il s'installe à Paris un temps, puis à la cour du duc de Brusnwick. Très épris de Madame de Staël en 1794, juste après s'être marié par ailleurs, il s'installe avec elle à Paris et entame une carrière politique, avant de rompre en 1808 et se marier secrètement avec Charlotte de Hardenberg. Un temps au côté de Napoléon, il s'exile en Angleterre après Waterloo et c'est à cette époque qu'il publie
Adolphe (1816). Il rentrera en France par la suite et sera nommé Président du Conseil d'État Par Louis-Philippe.
Il est mort à Paris en 1830.
Adolphe, jeune homme timide et sensible, vient juste de terminer de brillantes études à Göttingen en Allemagne et veut découvrir l'amour. Mais pas n'importe quel amour. Être taciturne, mélancolique et indépendant, il décide par orgueil, vanité et amour propre de se faire aimer. Il a vingt deux ans et tout pour séduire : esprit vif et intelligent, cette vivacité se manifeste au dépens des qualités de coeur. C'est la belle Ellénore, son aînée de dix ans, maîtresse de son ami le Comte de P., qui va être la victime expiatoire.
« Je ne me voyais point aimer Ellénore ; mais déjà je n'aurais pu me résoudre à ne pas lui plaire. »
Adolphe va user de tout son charme : « Ellénore, rendez-vous à ma prière : vous y trouverez quelque douceur. Il y aura pour vous quelque charme à être aimée ainsi, à me voir auprès de vous, occupé de vous seule, n'existant que pour vous, vous devant toutes les sensations de bonheur dont je suis encore susceptible, arraché par votre présence à la souffrance et au désespoir. »
Et Ellénore va tout sacrifier à
Adolphe qui lui, ne va que rechercher l'attention, l'amour et la sollicitude d'Ellénore, rien d'autre en fait. Jusqu'à ce qu'elle se donne à lui, il joue le jeu de l'amoureux éperdu. Elle oublie ses deux enfants, sa fortune, la considération dont elle jouissait dans la société. Mais cela ne dure qu'un temps. Vite il va se lasser de cette liaison qui le prive de sa liberté totale.
« Je comparais ma vie indépendante et tranquille à la vie de précipitation, de trouble et de tourment à laquelle sa passion me condamnait. »
S'adressant à Ellénore : « L'amour, ce transport des sens, cette ivresse involontaire, cet oubli de tous les intérêts, de tous les devoirs, Ellénore, je ne l'ai plus. »
Cependant, par lâcheté, il ne rompt pas. Lâche effectivement, cynique même, capricieux, odieux souvent, égoïste et désinvolte, il va torturer mentalementEllénore ; il est déjà un héros romantique, un être faible, hésitant, velléitaire.
Un jour il est sur le point de quitter Ellénore, le lendemain il s'écrie : « Si Ellénore eût voulu se détacher de moi, je serais mort à ses pieds pour la retenir. » La tension va croissante et on sent le drame couver. Ellénore va tenter de rendre
Adolphe jaloux en se laissant courtiser déci delà. Et
Adolphe, fin observateur songe : « Elle croyait ranimer mon amour en excitant ma jalousie ; mais c'était agiter des cendres que rien ne pouvait réchauffer. » Et plus loin : « Notre vie ne fut qu'un perpétuel orage. »
Ce qui est assez remarquable dans l'attitude d'
Adolphe, homme qui vit sans passion, c'est sa capacité exceptionnelle à l'introspection et l'autocritique. Il est capable de prendre du recul et d'être parfaitement lucide dans sa conduite.
« On vit dans ma conduite celle d'un séducteur, d'un ingrat qui avait violé l'hospitalité, et sacrifié, pour contenter une fantaisie momentanée, le repos de deux personnes, dont il aurait dû respecter l'une et ménager l'autre. »
« Je la sentais meilleure que moi ; je me méprisais d'être indigne d'elle. C'est un affreux malheur de n'être pas aimé quand on aime ; mais c'en est un bien grand d'être aimé avec passion quand on n'aime plus. »
Auteur d'une très belle écriture,
Benjamin Constant nous offre un des chefs-d'oeuvre
de la littérature du XIX é dans le genre roman d'analyse. La psychologie des personnages est complexe, fouillée et véridique. Son style est assez sobre et dépouillé et la syntaxe d'une grande rigueur.
Une oeuvre brève mais dense dont le héros atteint d'une sorte de mal du siècle annonce la période romantique.
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