Il faut bonne mémoire après qu'on a menti.
GERONTE. Je vous cherchais, Dorante.
DORANTE. Je ne vous cherchais pas, moi. Que mal à propos
Son abord importun vient troubler mon repos,
Et qu'un père incommode un homme de mon âge!
GERONTE. Vu l'étroite union que fait le mariage,
J'estime qu'en effet c'est n'y consentir point
Que laisser désunis ceux que le Ciel a joint,
La raison le défend, et je sens dans mon âme
Un violent désir de voir ici ta femme,
J'écris donc à son père, écris-lui comme moi.
Je lui mande qu'après ce que j'ai su de toi
Je me tiens trop heureux qu'une si belle fille,
Si sage, et si bien née, entre dans ma famille.
J'ajoute à ce discours que je brûle de voir
Celle qui de mes ans devient l'unique espoir,
Que pour me l'amener tu t'en vas en personne,
Car enfin il le faut, et le devoir l'ordonne,
N'envoyer qu'un valet sentirait son mépris.
DORANTE. De vos civilités, il sera bien surpris,
Et pour moi je suis prêt; mais je perdrai ma peine,
Il ne souffrira pas encor qu'on vous l'amène,
Elle est grosse.
GERONTE. Elle est grosse!
DORANTE. Et de plus de six mois.
GERONTE. Que de ravissements je sens à cette fois!
DORANTE
Vous ne voudriez pas hasarder sa grossesse ?
GERONTE. Non, j'aurai patience autant que d'allégresse,
Pour hasarder ce gage il m'est trop précieux.
A ce coup ma prière a pénétré les Cieux,
Je pense en le voyant que je mourrai de joie.
Adieu, je vais changer la lettre que j'envoie,
En écrire à son père un nouveau compliment,
Le prier d'avoir soin de son accouchement,
Comme du seul espoir où mon bonheur se fonde.
DORANTE, à CLITON. Le bonhomme s'en va le plus content du monde.
GERONTE, se retournant. Écris-lui comme moi.
DORANTE. Je n'y manquerai pas.
Qu'il est bon!
CLITON. Taisez-vous, il revient sur ses pas.
GERONTE. Il ne me souvient plus du nom de ton beau-père.
Comment s'appelle-t-il ?
DORANTE. Il n'est pas nécessaire,
Sans que vous vous chargiez de ces noms superflus,
En fermant le paquet j'écrirai le dessus.
GERONTE. Étant tout d'une main il sera plus honnête.
DORANTE. Ne lui pourrai-je ôter ce souci de la tête ?
Votre main, ou la mienne, il n'importe des deux.
GERONTE. Ces nobles de province y sont un peu fâcheux.
DORANTE. Son père sait la cour.
GERONTE. Ne me fais plus attendre.
Dis-moi...
DORANTE. Que lui dirai-je ?
GERONTE. Il s'appelle ?
DORANTE. Pyrandre.
GERONTE. Pyrandre! tu m'as dit tantôt un autre nom;
C'était, je m'en souviens, oui, c'était Armédon.
DORANTE. Oui, c'est là son nom propre, et l'autre d'une terre,
Il portait ce dernier quand il fut à la guerre,
Et se sert si souvent de l'un et l'autre nom,
Que tantôt c'est Pyrandre, et tantôt Armédon.
GERONTE. C'est un abus commun qu'autorise l'usage,
Et j'en usais ainsi du temps de mon jeune âge.
Adieu, je vais écrire.
Acte IV, scène IV
DORANTE
Je disais vérité.
CLITON
Quand un menteur la dit,
En passant par sa bouche, elle perd son crédit.
CLARICE
De le croire à l'aimer la distance est petite,
Qui fait croire ses feux fait croire son mérite,
Ces deux points en amour se suivent de si près,
Que qui se croit aimée aime bientôt après.
IV,9
DORANTE
Cependant accordez à mes voeux innocents
La licence d'aimer des charmes si puissants.
CLARICE
Un coeur qui veut aimer, et qui sait comme on aime,
N'en demande jamais licence qu'à soi-même.
La vérité,quand un menteur la dit,
En passant par sa bouche elle perd son crédit .
CLITON
Certes, vous dites vrai, j'en juge par moi-même,
Ce n'est point mon humeur de refuser qui m'aime,
Et comme c'est m'aimer que me faire présent,
Je suis toujours alors d'un esprit complaisant.
DORANTE
Il est beaucoup d'humeurs pareilles à la tienne.
IV,1
DORANTE
Le Ciel fait cette grâce à fort peu de personnes.
Il y faut promptitude, esprit, mémoire, soins,
Ne se brouiller jamais, et rougir encore moins.
III,4
« Et là, sous ce faux nom, vous pourrez lui parler,
Sans qu’Alcippe jamais en découvre l’adresse,
Ni que lui-même pense à d’autres qu’à Lucrèce. »
J'aime de ce courroux les principes cachés : je ne vous déplais pas, puisque vous vous fâchez.