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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Voici une pièce qui, pour être assez facile d'accès et légère, dans le registre comédie de caractère, m'a donné du fil à retordre. J'ai dû la parcourir plusieurs fois pour arriver à m'en faire une idée exacte, et je l'aurais volontiers vue sur les planches.

Il s'agit d'une comédie de facture classique, pièce en cinq actes, de 6 à 9 scènes chacun, respectant globalement l'unité de temps et de lieu. Les personnages sont peu nombreux et assez typés, avec le jeune premier, le père, le serviteur blasé, les deux jeunes filles rivales involontaires, les servantes, les prétendants... L'action repose sur un quiproquo principal, qui donne lieu à une suite de situations exploitant le malentendu originel : Dorante est tombé amoureux de Clarisse, qu'il croit être Lucrèce, et ment d'abord pour l'impressionner, puis pour se tirer de situations délicates. Mais bien sûr, ses mensonges font tache d'huile, il finit par se retrouver prisonnier de ses propres pièges.

Est-ce que j'ai eu de la sympathie pour les personnages principaux ? Pas vraiment, ils m'ont paru assez convenus : le jeune chien fou qui veut tout avaler à Paris et se faire passer pour ce qu'il n'est pas, c'est assez banal, comme le souligne d'ailleurs la servante Isabelle à l'acte III, scène 3. Les deux jeunes filles adeptes de situations autant codifiées que romanesques font figures de jeunes Précieuses dont se moquera plus tard Molière. J'ai eu un faible pour Cliton, un serviteur pas si cliché, car il est plus âgé que la moyenne, et s'il est matérialiste et ne dédaigne pas l'argent, il a les pieds sur terre, une solide logique et une sainte horreur du mensonge ; ainsi, il offre un contrepoint comique à la démesure de son maître, contrepoint qui est le bienvenu. J'ai eu pitié également du père de Dorante, Géronte, pourtant compréhensif et bienveillant, prêt à tolérer un mariage auquel il n'a pas donné son accord pour que son fils soit heureux, et si mal traité en retour par ce dernier. Dans l'ensemble, la pièce se laisse lire agréablement, mais ne recèle pas de morceaux de bravoure ni d'échanges brillants et rythmés, mis à part certaines tirades de mensonge et d'invention poétique.

Il reste que c'est Corneille, et le vers classique : j'ai connu l'auteur plus inspiré dans le Cid, mais tout de même, si ces vers sont moins connus, ils offrent de beaux passages, avec des accents de poésie baroque. La pièce, empruntée à l'auteur espagnol Alarcón (en le prenant du reste pour Lope de Vega au départ), fut un grand succès et confirma la réputation de Corneille comme auteur de théâtre. On dit que cette pièce précisément déclencha la vocation de Molière à écrire des comédies. Quoi qu'il en soit, j'ai toujours apprécié la sobriété du vers classique, et la capacité des auteurs de l'époque à faire beaucoup avec peu, à laisser mijoter les aliments dans leur jus pour en dégager les arômes.
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Après ses succès dans la tragédie, Corneille revient à la comédie, dans laquelle il avait commencé par faire ses premières armes. La date des premières représentations de cette pièce n'est pas connue avec précision, elle pourrait se situer pendant la saison 1643-1644. Saison difficile pour le théâtre du Marais où Corneille faisait représenter toutes ses pièces : un incendie ravage le théâtre en janvier 1644. La pièce est imprimée en octobre 1644.

La comédie, genre considéré comme moins noble que la tragédie, dans la classification des genres de l ‘époque, a mis plus de temps pour donner lieu à des pièces en cinq actes, susceptibles d'occuper le centre d'une matinée théâtrale. Les thématiques, d'abord empruntées à l'Italie, le seront dans un deuxième temps à l'Espagne. Un certain nombre de pièces espagnoles sont adaptées en français par divers auteurs : Antoine le Métel, Rotrou...Corneille va suivre le mouvement, et s'inspirer d'une pièce qu'il pense être de Lope de Vega, mais dont Juan de Alarcon réclame la paternité. Corneille a été enthousiasmé par cette pièce, au point d'écrire « Le sujet m'en semble si spirituel et si bien tourné, que j'ai dit souvent que je voudrais avoir donné les deux plus belles que j'ai faites, et qu'il fût de mon invention. »

Dorante, un jeune homme vient d'être autorisé par son père de quitter la carrière juridique pour celle des armes. Il arrive à Paris, et tombe presque de suite amoureux d'une belle inconnue. Son valet doit découvrir qui elle est, mais se trompe de personne. Clarice, la belle inconnue, a donné sa parole à Alcippe, l'ami de Dorante, mais le mariage peine à se conclure, et elle commence à envisager un autre soupirant. Géronte, le père de Dorante voudrait qu'elle épouse son fils. Elle voudrait le voir avant de décider. Dorante, n'identifiant pas Clarice avec sa belle inconnu, ne veut pas de ce mariage.

Mais Dorante, comme l'indique le titre de la pièce, a un défaut, voire un vice. Il ment sans arrêt, raconte des histoires. Il le fait pour se sortir de mauvais pas, mais aussi par plaisir, dès qu'une occasion s'offre à lui de se mettre en valeur. Nous suivons donc Dorante dans ses intrigues, ses mensonges. Qui risquent de l'amener à l'opposé de ce qu'il voulait.

Corneille a gardé la trame complexe du récit, les conversations nocturnes sous les balcons, les identités confuses, les belles inconnues. Mais ses personnages sont bien des Français de son temps, avec leurs moeurs, leur façon de s'exprimer. Comme dans ses premières pièces. Il y a une certaines doses de pragmatisme, voire de cynisme chez ces jeunes gens, dont les amours même les plus violents peuvent toujours s'accommoder d'un autre partenaire, et pour qui la désirabilité sociale est le premier critère. C'est moins personnel et original que certaines de ses comédies précédentes, mais c'est indéniablement très efficace, et ces histoires compliquées de mensonges en série, peuvent incontestablement donner lieu à des effets comiques plus forts sur une scène.

Cette pièce a connu un très grand succès à son époque, et elle continue à être relativement jouée encore maintenant.
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La comédie où l'on se cause en vers a le charme des vieux meubles qui craquent. L'éloquence y est légère et le rire intérieur. le menteur sera-t-il puni, lui qui ne sait qu'inventer des sornettes pour se sortir de tous les guêpiers? Quand il tombe amoureux, sait-il bien de qui? Et sait-on si c'est vrai? Ses victimes tomberont-elles dans le panneau? Découvriront-elles le pot aux roses? Si oui, quel conte notre fabulateur va-t-il encore bricoler pour retomber sur ses pattes? Sera-t-il au final l'arroseur arrosé? Corneille ne répond pas tout à fait. Il ne blâme pas méchamment. Il laisse le menteur s'empêtrer dans ses contradictions. Peut-être même l'encourage-t-il. Il aurait pu tomber dans le moralisme sévère. Il lui préfère l'amusement subtil. le lecteur lui en sait gré.
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Le mensonge est un vilain défaut sauf dans la comédie de Pierre Corneille que je n'attendais pas dans ce registre.
En 1644, il met en scène "Le menteur" une pièce en vers basée sur un imbroglio.
Dorante vient d'arriver à Paris. Il est aux Tuileries avec son valet et confident Cliton. Il croise une jeune fille dont il s'éprend et comme tout menteur qui se respecte, il s'invente des exploits pour parader devant la belle ("Il aura cru sans doute, ou je suis fort trompée, que les filles de coeur aiment les gens d'épée ; et vous prenant pour telle, il a jugé soudain qu'une plume au chapeau vous plaît mieux qu'à la main.").
Quand il cherche à connaître son nom il y a méprise, il pense qu'elle s'appelle Lucrèce alors qu'il s'agit de Clarisse, son amie. Côté paternel, Géronte veut le marier à Clarisse alors Dorante de rebelle, le fourbe va raconter une histoire rocambolesque en prétendant qu'il s'est déjà marié en province pour une question d'honneur. Ce passage-là est vraiment drôle et doit être impressionnant à voir jouer sur scène.
Cela se complique encore lorsque Clarice a l'idée de demander à Lucrèce de donner un rendez-vous à Dorante en lui faisant croire qu'elle s'appelle Clarice.
Comme chez Molière se sont les maîtres qui mentent pas les domestiques qui tentent plutôt d'arranger les choses et de démêler les quiproquos.
Le fieffé menteur qu'est Dorante reste pourtant sympathique en s'emmêlant parfois dans ses mensonges car on pardonne toujours aux amoureux. Surtout, il faut des qualités pour être mythomane et comme dit le jeune homme : "Le ciel fait cette grâce à fort peu de personnes : il y faut promptitude, esprit, mémoire, soins, ne se brouiller jamais, et rougir encor moins."
J'ai donc apprécié les vers de Corneille qui sont jubilatoires. Il y a quand même un bémol quand Clarice dit "Mon père a sur mes voeux une entière puissance" et Lucrèce "Le devoir d'une fille est dans l'obéissance.", cette soumission des jeunes filles grince à mes oreilles même si l'époque y est pour quelques choses.
Cela reste une comédie fort plaisante.


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Une belle piece du maitre moins connue mais tres interressante à dissequer et à lire ce menteur vous ravira par ses intrigues, surprises, bref tout ce qui fait une belle piece !
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Peu connue, cette pièce gagnerait à l'être. Pièce sur le mensonge, donc sur le théâtre, elle reflète le dilemme cornélien, mais sur le plan de la comédie.
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