Parfois, on devient l'étudiant de la tragédie qui nous frappe.
Je contemplais le pistolet 9 mm, qui se trouvait sur ma table de chevet, en me posant la question qui me venait toujours en pareil cas. Pourrais-je l’atteindre assez rapidement ?
J’aurais pu dessiner chaque fragment d’os, chaque lambeau de peau excisé.
Et s’il désirait abattre Lucy, j’étais certaine qu’il y parviendrait. Au fond, cette deuxième hypothèse était la plus terrifiante. J’avais vu le travail de Gault. Je savais ce qu’il faisait.
Jusqu’à présent, Gault était toujours arrivé à ses fins. Jusqu’à présent, il n’avait jamais échoué dans la réalisation des projets monstrueux qu’il avait entrepris. Je n’étais pas convaincue de pouvoir lui échapper s’il avait décidé de me tuer. Et s’il désirait abattre Lucy, j’étais certaine qu’il y parviendrait.
J’étais heureuse de la présence de Marino chez moi. J’avais beau fouiller ma mémoire, je ne parvenais pas à me souvenir si j’avais jamais été aussi effrayée auparavant.
Les eaux ténébreuses de l'Hudson s'illuminèrent à notre approche et se ridèrent.
Un fin sourire étira ses lèvres. Il était comme un chien tout fou, creusant des trous sur une plage. Il balaya la couche poudreuse alentour, faisant disparaître les empreintes de pas, cherchant la trappe de secours. Ah, en effet, elle se trouvait bien à l'endroit prévu, et il déblaya un peu plus de neige jusqu'à découvrir le bout de papier aluminium qu'il avait coincé entre le panneau et le chambranle. Il agrippa l'anneau qui servait de poignée et tira le vantail qui s'ouvrait au niveau du sol. En dessous vibrait le ventre du métro. Le rugissement d'une rame monta jusqu'à lui. Il laissa tomber le sac à dos et la boule de neige dans le puits. Ses bottes résonnèrent sur les barreaux en métal de l'échelle à mesure qu'il descendait.
À un endroit précis - et il savait exactement où - il s'accroupit en dégageant d'un geste la basque de son long manteau noir. Il déposa dans la neige un vieux sac à dos militaire et étendit ses mains nues, maculées de sang. Bien que ses mains fussent froides, la sensation n'était pas insupportable. Gault n'aimait pas les gants, sauf les gants de latex qui, de toute façon, n'étaient pas non plus très chauds. Il se lava les mains et le visage dans la neige molle et la tassa en une boule teintée de rouge. Il la déposa à côté du sac à dos. Après tout, il ne pouvait les abandonner. Ni l'un ni l'autre.
Des portes claquèrent et les roulettes d’une civière cliquetèrent.
Fermement décidée à empêcher Marino de s’enfoncer davantage, j’intervins :
– Marino, je ne suis plus d’aucune utilité ici. Il faut que je passe au bureau.
– Quoi, vous l’autopsiez cette nuit ? s’exclama-t-il, assez démonté.
Je répondis d’un ton sérieux :
– Au vu des circonstances, je pense que c’est souhaitable.