L'exemplaire de ce recueil de contes, que j'ai entre les mains, date de 1961, il est sorti de l'inventaire d'une bibliothèque. Son aspect (pages vieillies et jaunies), son odeur, le bruit du papier quand on le feuillète racontent à eux seuls une foule d'histoires autour de la vie de ce livre. J'aime aussi ces livres-là. Ils ont un genre qui a tendance à rebuter nos jeunes lecteurs mais qui fleure bon une certaine époque de l'édition pour la jeunesse.
Rassurez-vous, je ne vous ferai pas le coup du "C'était mieux avant", mais c'est fou de constater à quel point la facture d'un objet peut parler sans mots de son époque. Encore faut-il certes l'avoir vécue.
Cela dit en préambule, ce recueil est magnifiquement écrit. Il nous emmène au pays des janissairs, des mamelouks et des douars, nous parle de la munificence, de la magnanimité voire de la sollicitude de certains personnages et met en action des êtres des plus humains aux plus vils. Les habitués des célèbres "aventures" de Nasreddin le Hodja y retrouveront pour partie leur compte (leur conte ?). D'autres apprécieront certaines chutes terribles, cruelles mais drôles, tout de même. De l'humour noir à l'état pur. En fait, ces histoires-là tout droit venues d'un monde qui pourrait être celui d'Aladin et Schéhérazade, bien qu'elles aient traversé les siècles, nous parle de nous. Les Hommes ! Un sujet indémodable !
En clair, voici de jolis mots, voici un univers oriental et dépaysant à souhait, voici du rire, voici des larmes, voici la vie !
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p.38
Il y avait aussi des femmes qui se disaient prophétesses. Elles prédisaient l'avenir, donnaient des consultations, se livraient à des incantations, servaient d'entremetteuses, fabriquaient des philtres et prétendaient guérir tous les maux, aussi bien dans le domaine moral que dans le domaine physique.
Un jour, l'une d'elles fut amenée devant le sultan El Moutaouakil qui lui dit :
- Te crois-tu vraiment une prophétesse ?
- Certes ! répondit-elle.
-Est-ce que tu crois en Mahomet ?
- Sans aucun doute !
-Mahomet n'a-t-il pas écrit dans le Livre sacré "Il n'y aura pas de prophète après moi" ?
- Certainement ! Mais, nulle part, il n'a mentionné : il n'y aura pas de prophétesse après moi.
p.166
C'est un simple. Il est incapable de distinguer la pistache de la noisette, mais il est aussi incapable de s'approprier le bien d'autrui.
p. 119
Des torches flamboyantes étaient fichées dans les murs et se maintenaient toutes seules.
Sur la table, le poisson était reconstitué dans son intégralité. Il avait grandi, et le plat sur lequel il reposait, lui aussi, était agrandi. Les yeux de l'animal, cerclés de jaune, les regardaient fixement et paraissaient vivants. De la bouche ouverte, la langue, toute blanche, sortait hérissée comme un dard.
p.218
Méfie-toi de ceux qui rampent, de ceux qui lèchent et de ceux qui piquent.