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Citations sur Marelle (31)

Tu me regardes, tu me regardes de tout près, tu me regardes de plus en plus près, nous jouons au cyclope, nos yeux grandissent, se rejoignent, se superposent, et les cyclopes se regardent, respirent confondus, les bouches se rencontrent, luttent tièdes avec leurs lèvres, appuyant à peine la langue sur les dents, jouant dans leur enceinte où va et vient un air pesant dans un silence et un parfum ancien. Alors mes mains s'enfoncent dans tes cheveux, caressent lentement la profondeur de tes cheveux, tandis que nous nous embrassons comme si nous avions la bouche pleine de fleurs ou de poissons, de mouvements vivants, de senteur profonde. Et si nous nous mordons, la douleur est douce et si nous sombrons dans nos haleines mêlées en une brève et terrible noyade, cette mort instantanée est belle. Et il y a une seule salive et une seule saveur de fruit mûr, et je te sens trembler contre moi comme une lune dans l'eau.
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Comme rien ne les amusait plus que de jouer avec les mots, ils inventèrent, en ces jours-là, le jeu du cimetière. Ils ouvraient le dictionnaire, page 558, par exemple, et ils jouaient avec le hackery, la haquétie, le haquebute, l'hadrotome, l'haceldama, le hadru et le hadur. Mais au fond, ils étaient un peu tristes en pensant à toutes les possibilités perdues à cause du caractère argentin et de la fuite-implacable-du-temps. A propos de pharmacienne, Traveler soutenait que c'était la classe noble d'une nation profondément mérovingienne, et lui et Oliveira composèrent en l'honneur de Talita un poème épique où les hordes pharmaciennes envahissaient la Catalogne en semant la terreur, le piperin et l'ellébore. La nation pharmacienne aux superbes chevaux. Méditation dans la steppe pharmaceutique. Ô impératrice des pharmaciens, aie pitié des talochés, des talonnés, des talamasques et des taillables qui se taillent.
Page 268
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-Au fond, dit Gregovorius, Paris est une énorme métaphore.
Il tapa sur sa pipe, tassa un peu le tabac. La Sybille avait allumé une autre Gauloise et chantonnait. Elle était si fatiguée que cela ne la vexa même pas de ne pas comprendre la phrase. Comme elle ne posait pas précipitamment une question, selon son habitude, Gregovorius se décida à expliquer. La Sybille écoutait comme de loin, protégée par l'obscurité de la pièce et la cigarette. Elle entendait des choses isolées, le nom d'Horacio qui revenait, le désarroi d'Horacio, le vagabondage stérile des amis du Club, les bonnes raisons qu'ils se donnaient pour croire que tout cela pouvait avoir un sens. De temps en temps, une phrase de Gregovorius se dessinait dans l'ombre, verte ou blanche, parfois c'était un Atlan, parfois un Estève, puis un son, au hasard, tournait sur lui-même, s'épaississait, enflait comme un Manessier, comme un Wilfredo Lam, comme un Étienne, comme un Max Ernst. C'était amusant, Gregovorius disait : « Ils sont tous occupés à regarder ces routes babyloniennes, si je puis dire, et ... » et la Sibille voyait naître un Deyrolles resplendissant, un Bissière, mais déjà Gregovorius parlait de l'inutilité d'une ontologie empirique et soudain c'était un Friedlander, un Villon délicat qui réticulait la pénombre et la faisait vibrer, ontologie empirique, des bleus de fumée, des roses, empirique, un jaune clair, un creux où tremblaient des étoiles blanc pâle.
Page 158
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Je me demande, quant à moi, si je parviendrai une bonne fois à faire comprendre que le véritable et l'unique personnage qui m'intéresse c'est le lecteur, dans la mesure où un peu de ce que j'écris devrait contribuer à le modifier, à le faire changer de position, à le dépayser, à l'aliéner.
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Mais qu'est-ce que le souvenir sinon le langage des sentiments, un dictionnaire de visages, de jours et de parfums qui reviennent comme les verbes et les adjectifs dans le discours, s'approchant sous cape de la chose en soi, du présent pur, nous instruisant ou nous affligeant par substitution jusqu'à ce que tout notre être devienne lui-même substitution, le visage qui regarde en arrière ouvre de grands yeux, le vrai visage s'efface comme sur les vieilles photos et Janus est soudain quiconque d'entre nous.
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L'absurde c'est de trouver devant ta porte le matin la bouteille de lait et ça te laisse froid parce que tu en as déjà trouvé une hier et que tu en trouveras une demain. C'est ce croupissement, le c'est ainsi, la douteuse carence d'exceptions. Je ne sais pas, il faudrait essayer un autre chemin.
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Je pense aux gestes oubliés, aux multiples gestes et propos de nos ancêtres, tombés peu à peu en désuétude, dans l’oubli, tombés un à un de l’arbre du temps. J’ai trouvé ce soir une bougie sur une table, et pour m’amuser je l’ai allumée et j’ai fait quelques pas avec elle dans le couloir. Elle allait s’éteindre quand je vis ma main gauche se lever d’elle-même, se replier en creux, protéger la flamme par un écran vivant qui éloignait les courants d’air. Tandis que la flamme se redressait, forte de nouveau, je pensais que ce geste avait été notre geste à tous (je pensais tous et je pensais bien, ou je sentis bien) pendant des milliers d’années, durant l’Âge du Feu, jusqu’à ce qu’on nous l’ait changé par l’électricité. J’imaginais d’autres gestes, celui des femmes relevant le bas de leurs jupes, celui des hommes cherchant le pommeau de leur épée. Comme les mots disparus de notre enfance, entendus pour la dernière fois dans la bouche des vieux parents qui nous quittaient l’un après l’autre. Chez moi personne ne dit plus « la commode en camphrier », personne ne parle plus des « trépieds ». Comme les airs de l’époque, les valses des années vingt, les polkas qui attendrissaient nos grands-parents.
Je pense à ces objets, ces boîtes, ces ustensiles qu’on découvre parfois dans les greniers, les cuisines, les fonds de placards, et dont personne ne sait plus à quoi ils pouvaient bien servir. Vanité de croire que nous comprenons les œuvres du temps : il enterre ses morts et garde les clefs. Seuls les rêves, la poésie, le jeu — allumer une bougie et se promener avec elle dans le couloir — nous font approcher parfois de ce que nous étions avant d’être ce que nous ne savons pas si nous sommes.
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[…] et toute cette franc-maçonnerie du samedi soir dans la chambre d'étudiant ou les caves, avec des filles qui préfèrent danser en écoutant Star Dust ou When your man is going to put you down et qui exhalent une odeur douce et lente de parfum, de peau et de chaleur, elles se laissent embrasser vers la fin de la soirée, quelqu'un a mis The blues with a feeling et l'on danse presque immobile en se balançant seulement, et tout est trouble, sale et canaille, et tous les garçons ont envie d'arracher ces corsages tièdes tandis que les mains caressent une épaule, et toutes les filles ont la bouche entrouverte et elles s'abandonnent à la peur délicieuse et à la nuit et alors se dresse une trompette qui les possède toutes pour tous les hommes qui sont là, qui les prend d'une seule phrase chaude et les laisse retomber comme de l'herbe fauchée entre les bras de leur compagnon, et il y a une course immobile, un saut dans l'air de la nuit au-dessus de la ville, jusqu'à ce qu'un piano minutieux les rende à elles-mêmes, épuisées, réconciliées et toujours vierges, jusqu'au samedi suivant, tout cela en une musique qui effraie les bonnes gens des places d'orchestre pour qui il ne saurait y avoir de vérité sans programme imprimé et ouvreuse, et ainsi va le monde et le jazz est comme un oiseau qui émigre ou immigre ou transmigre, saute-barrière, moque-douanes, quelque chose qui court et se répond […]
Page 88
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Talita s'enfonça un peu plus dans le lit et s'appuya contre Traveler. Elle savait qu'elle était de nouveau à ses côtés, qu'elle ne s'était pas noyée, qu'il la soutenait à fleur de l'eau et qu'au fond c'était dommage, merveilleusement dommage. Ils le sentirent tous les deux au même instant et glissèrent l'un vers l'autre comme pour tomber en eux-mêmes, sur la terre commune où les mots, les caresses et les bouches les enveloppaient comme la circonférence contient le cercle, ces métaphores apaisantes, cette vieille tristesse satisfaite de redevenir l'homme de toujours, de continuer, de se maintenir à flot contre vents et marées, contre l'appel et la chute.
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Ce n’est pas pour dire, mais mes livres, j’aime bien les avoir près de moi.
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