La guerre, aussi, nous inquiétait tous, la guerre qui s’avançait comme une ombre inhumaine. C’est vertigineux, me dit-il, ton père t’a conçu quelques heures avant de mourir et il n’en a rien su.
Le déterminisme de classe était puissant à l’époque. Il y avait des choses qui ne se faisaient pas. Et nous étions très jeunes, je l’ai déjà dit.
Lorsqu’on était de gauche à dix-huit ans, c’est qu’on était de milieu ouvrier.
Il me faut être honnête. La grande affaire pour moi, cette année, n’était pas les élections du printemps, ce n’était pas la montée des fascismes en France et aux frontières. La grande affaire, c’était la faim d’amour, et le désir de ce visage enfin tourné vers moi qui transfigurerait ma personne et ma vie.
La mort m’attrapait par le bras, elle me donnait un grand coup dans le dos et elle me forçait à la regarder. Elle prenait cet après-midi un visage particulier pour moi, pour moi seul, pour marquer mon entrée dans l’âge adulte.
L’amour et la mort me faisaient face froidement et ils avaient le même visage (…)
J’allai à la librairie des dames Bongrain, rue Saint-Dominique, acheter pour ma mère un des prix littéraires de décembre. La libraire me déconseilla Sang et lumières, le Goncourt ; c’était une histoire de matador qui finissait mal et elle connaissait ses clients : « Votre mère n’aime pas les romans où l’on meurt. » Elle me mit dans les mains le Femina, Bénédiction. L’auteur signait d’un pseudonyme, il s’agissait d’une femme du monde qui préférait taire son nom. « Enfin, ce livre est remarquable d’élégance. »
J’avais des cousins, pas d’amis. Ce n’est pas pareil. Mais je ne suis pas sûr d’avoir fait la différence, à l’époque. Henri, par exemple. Nous n’avions aucun goût commun, pas grand-chose à nous dire et en effet nous nous parlions peu. Il n’empêche, cousins germains exactement du même âge, nous avions partagé, enfants, tant d’activités et de jeux, tenus que nous étions de « faire la paire », que nous nous aimions beaucoup – c’était aussi simple que ça – bien que nos voies se soient déjà écartées : Henri avait la passion de la botanique et il avait commencé cet automne des études à Montpellier.
Les femmes votaient, dans ce pays (l'Espagne) pauvre et arriéré, la participation au vote avait été très forte.
Ils avaient craint de perdre Blum comme leurs pères avaient perdu Jaurès, vingt-deux ans plus tôt. Beaucoup avaient les larmes aux yeux en scandant son nom.