Génération X

Tes parents au moins discutent des Grandes Questions. Moi j’essaie aves les miens, je parle de choses importantes pour moi, et c’est comme si je leur parlais en bratislavien. Ils m’écoutent avec indulgence le temps qu’il faut, et quand je suis à bout de souffle, ils me demandent pourquoi je vis dans un endroit perdu et comment va ma chère femme.
Lâche à tes parents la moindre confidence et ils s’en serviront comme d’une pince pour te faire sauter les verrous et te réorganiser une vie sans aucune perspective.

- Tu devrais voir chez mes parents, Dag. On dirait un musée d’il y a quinze ans. Rien n’a changé, ils ont la trouille du futur. Tu n’as jamais eu envie de mettre le feu à la maison de tes parents juste pour les sortir de leur train-train? Juste pour qu’il leur arrive déjà quelque chose? Les parents de Claire au moins divorcent de temps en temps. Ça maintient en vie.
– Tes parents vieillissent, c’est tout. Ça arrive à tous les vieux. Ils tournent barges; ils s’ennuient, ils perdent leur identité.

Bon Dieu Margaret. Tu devrais vraiment de demander pourquoi on se fait chier à se lever tous les matins. Mais vraiment: pourquoi travailler? Pour acheter plus? Ca n’explique pas tout. Regarde-nous, tous. Quelle est la certitude commune qui nous a tous amenés ici?
Tu comprends, je nous vois tous nous crever pour acheter, acheter, mais je ne peux m’empêcher de penser que nous ne méritons pas tout ça…

Je frissonne et je me sers dans la couverture, j’ai plus froid que je ne croyais, et je me demande pourquoi tout me semble nul par les temps qui courent: rencards, boulots, fêtes, climat… Serait-ce que nous ne croyons plus au lieu? Ou peut-être nous avait-on promis le paradis dans nos vies antérieures et, en comparaison, le monde où nous sommes tombés ne tient pas la route.

Les mots de Rilke, le poète, firent irruption dans mon cerveau – son idée que nous sommes tous nés avec une lettre à l’intérieur, et que si nous sommes sincères avec nous-mêmes, et seulement dans ce cas, nous aurons peut-être le droit de la lire avant de mourir.

Manque historique: vivre à une époque où rien ne semble arriver. Parmi les symptômes majeurs, être accro aux journaux, aux magazines et aux infos télévisées.

Tu vois, quand tu es classe moyenne, il faut s’habituer à ce que l’histoire t’ignore. Il faut vivre avec le fait que l’histoire ne se fera jamais champion de tes causes et qu’elle ne se sentira jamais désolée pour toi. C’est le prix à payer pour le confort et le silence quotidiens. Et à cause de ce prix, tous les bonheurs sont stériles; et tes malheurs n’attirent pas la pitié.

 D’après elle, la plupart des gens n’ont que deux ou trois moments vraiment intéressants dans la vie, le reste n’est que remplissage, et à la fin nous aurons bien de la chance si ces moments se relient entre eux pour former une histoire un tant soit peu intéressante pour quiconque.

 Je me sentais malhonnête. Comme si je me la jouais étranger. Je me sentis excommunié par les shin jin rui – c’est le mot des journaux japonais pour parler des vingt-trente ans qui travaillent dans les bureaux – nouveaux être humains. C’est difficile à expliquer. Nous avons les mêmes gens ici mais ils n’ont pas de nom – une génération X – pour rester cachés. Ici il y a de la place pour se cacher – pour se perdre -, ça sert de camouflage.

 Moi? Je suis juste moi. […]. J’ai assez de mal à être maintenant. Je m’habille pour être gris, pour être invisible – pour être générique. Tenue de camouflage.