Pourquoi de telles divergences, pourquoi des différences si diamétralement opposées entre les deux littératures ? Nous touchons ici, selon moi, au fond même du problème. Dans nos sociétés actuelles d’Occident basées sur l’individualisme, seul compte l’individu. Il se suffit à lui-même. La littérature ne faisant que refléter l’état social, le romancier et le poète lui donneront tous leurs soins. Ils ne nous feront grâce d’aucun détail sur son physique, sur ses allures, sur ses habitudes, sur ses tics, sur la manière dont il est habillé, dont il marche, parle, danse, mange ou boit. C’est une fin en soi. L’intérêt, la portée de ses sentiments et de ses passions sont limités à sa personne. Le romancier analyse les plus intimes replis de son âme. Son moi est fouillé au microscope. Tout l’intérêt se concentre sur ses joies ou sur ses peines […] ; sur la singularité de son caractère ou la nature spéciale de ses mœurs. […] Considérons au contraire l'Annam et la Société Annamite. Base de l’organisation : le système patriarcal, Système point seulement différent mais aux antipodes de nos systèmes individualistes. Nos institutions ont pour point de départ La Déclaration des Droits de l’Homme qui ne méconnaît, certes, pas les devoirs des citoyens envers la Cité mais les laisse dans l’ombre. Ici, au contraire, les institutions, les lois, le code, les idées ont pour base une véritable Déclaration des Devoirs, muette sur les droits et, en outre, flanquée de sanctions efficaces.