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Citations sur Un quinze août à Paris : Histoire d'une dépression (62)

Un jour, quelqu'un me dit, avec toute l'ingénuité des biens portants : "Il n'y a que toi pour t'en sortir." Sur le coup, j'eus le tort de le croire. Ce n'était qu'en partie vrai.
Il advient un temps où éviter la dépression n'est plus humainement possible : quelles que soient ses ressources et sa résistance, l'individu visé est condamné à subir l'épreuve au risque d'y succomber.
Tout rétablissement implique alors que la personne renforce seule ses capacités à distinguer ses propres signaux d'alerte, à prendre la mesure de ses "états d'âme" sans faire abstraction de leur pouvoir, sous prétexte d'écarter, par le déni, la menace.
Peut-être nécessite-til aussi d'accepter l'inexorable solitude de chacun face à ses cataclysmes intérieurs. Mais je le répète aujourd'hui ; de la dépression, personne ne se sort seul.
Si la figure du héros solitaire ne manque pas d'attrait, il vient un moment où celui qui l'incarne perd jusqu'à la capacité mentale d'inventer le mythe qui le sauverait.
Tôt ou tard, le héros, blessé, abattu, au bord de l'abîme, se doit d'être aidé même si sa mise négligée, sa tristesse et sa décadence inspirent avant tout le mépris.
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Depuis longtemps, les mots avaient été mon arme et mon armure. Mais alors et pour la première fois de ma vie, mes anciens alliés, ces milliers de mots que j'avais éperdument assemblés, devinrent ma prison : la rigidité de mes déductions dressait des paravents tout autour de moi. "Le déprimé sait que ses humeurs le déterminent de fond en comble, mais il ne les laisse pas passer dans son discours." Ne les laisse pas se diluer dans ce discours. Mes incessants récits d'épisodes depuis trop longtemps révolus m'amarraient à l'émotion ressentie : ils me permettaient d'entretenir la croyance en une forme de survivance d'un passé que personne ne voulait plus partager avec moi. Mes phrases m'entraînaient avec elles et elles n'entraînaient que moi. Tout allait dans le même sens et je m'épuisais.
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Sur mon réfrigérateur était aimantée une carte bristol où j'avais inscrit une phrase tirée du livre de Roland Jouvent. "Les sujets auraient intégré une fausse croyance selon laquelle ils seraient impuissants à influer sur leur bien-être." Cette phrase me semblait et me semble encore être la clé de voûte de l'édifice dépressif.
L'hypothèse postulée par Jouvent découle de la théorie de learned helpssness-traduit en français soit par "désespoir appris" (Jouvent) ou "désarroi appris" (Kristeva), S'inspirant d'un concept du même nom défini par Aaron Beck dans son élaboration des premières thérapies cognitives comportementales, pour permettre d'expliquer la manière dont certaines prédispositions cognitives conduisent à l'apparition, puis à la persistance, de la dépression.
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De contenance, il fut très peu question pour moi au cours de la période critique de la dépression, je l'ai dit. Il y avait sans doute une sorte de jouissance masochiste à se laisser aller jusqu'au bout, à se laisser envahir par un désespoir suprême. Cependant, la dégradation de mes capacités à me contenir, loin de m'apporter un relâchement, voire un soulagement, contribuait à l'accentuation des mêmes sentiments négatifs, dont l'expression alimentait la perpétuation. Confrontée aux aléas de la réalité, ma sensibilité particulière engendrait des perturbations physiques et mentales qui avaient pour effet de la maintenir en alerte. Cette inclinaison nerveuse semblait accentuer la récurrence de souvenirs attachés au même état d'anxiété. Ce corps, qui n'excluait pas mon cerveau et où je peinais néanmoins à demeurer, m'entraînait dans un éprouvant manège. Il donnait prise à une pensé à peine pensée, l'amplifiait, la relayait. Cela n'était pas juste un "état d'esprit" : même s'il n'existait pas d'examen médical pour le détecter (ou, du moins, ne m'en avait-on pas prescrit), cela avait toute la prégnance d'un dysfonctionnement physique.
Pour défendre sa théorie de la nature corporelle des émotions et de leur apparition en amont de leur représentation mentale; James cite d'ailleurs certains cas "pathologiques" où la "machinerie nerveuse est si encline à une certaine direction émotionnelle" que la majorité des stimuli n'induisent plus que celle-ci. On imagine un automate qui, à toute sollicitation, répondrait par le même mouvement.
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Dans un article publié en 1884 dans le journal britannique Mind et intitulé "What Is an Emotion ?", William James formule, pour la première fois, les prémices de sa théorie de l'émotion. Allant à l'encontre de la pensée commune de l'époque selon laquelle l'émotion était d'abord un phénomène mental qui provoquait ensuite certains bouleversements physiques, il y postule que ce sont les bouleversements physiques, engendrés directement par la perception d'un objet, qui constituent l'émotion. Nous ne voyons pas un ours, avons peur et de fait nous enfuyons en courant ; nous voyons un ours, nous enfuyons en courant puis ressentons notre peur. Théorie révolutionnaire s'il en est, qui continue d'être contestée de nos jours, mais qui possède le mérite de rendre au corps une place prépondérante au sein du processus émotionnel. "Si notre hypothèse est vraie, nous sommes amenés à reconnaître plus pleinement que jamais combien notre vie mentale est entrelacée avec notre structure corporelle". Le philosophe proposait donc une réconciliation du mental et du physique, non plus conçus séparément, hiérarchiquement, mais fonctionnant de façon interdépendante, susceptibles d'échanges à double sens.
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Nous préférons parfois oublier les incidents qui devraient pourtant nous renseigner sur la réalité de notre conditionphysique-y compris notre condition mentale. Au cours de l'année 2005, j'avais connu des accès de palpitations cardiaques qui se déclenchaient fréquemment sans raison apparente. Lorsque celles-ci commencèrent à se manifester, j'essayai d'abord d'en faire abstraction puis élaborai diverses explications (l'effet du café, de la cigarette...) destinées à me rassurer, voulant croire qu'elles s'estomperaient d'elles-mêmes. Le phénomène au contraire s'accentuant, je pris rendez-vous avec un cardiologue (qui d'autre ?) qui m'assura que mon coeur était en parfait état de marche. Les palpitations ne cessèrent pas pour autant mais j'obtins l'autorisation de cesser de chercher ce qu'elles trahissaient... Trois ans plus tard, il devint clair que ces palpitations n'étaient pas sans lien avec la dépression. Aujourd'hui, je regrette qu'à une époque où la science a tant progressé dans la détection et la compréhension de nos maux, les humeurs de nos corps nous demeurent dangereusement étrangères. Nombre d'entre nous bénéficieraient grandement d'une formation médicale-ainsi que l'on enseigne l'éducation civique par exemple-non pour se substituer aux médecins mais pour devenir de meilleurs vigies.
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Au moment où j'essaye de penser ou de dire ce qu'il y a, il n'y a rien de plus.
Ne suffit-il pas de demeurer humble et solitaire ?
Laisser faire, laisser passer, ainsi parvient-on-peut-être à vivre.
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La dépersonnalisation est un phénomène à double tranchant : ne plus se sentir "comme avant, comme toujours" va de pair avec un affadissement de la réalité, qui semble sans cesse à distance incorrecte, bizarrement ficelée, exempte de toute intrigue et néanmoins incessamment problématique. En d'autres termes s'évanouit ce sentiment de rationalité, dont James décrit l'émergence comme le résultat d'un fonctionnement mental sans entraves : "Sentir que l'heure présente se suffit, qu'elle est absolue, n'éprouver aucun besoin de l'expliquer, d'en rendre compte, de la justifier, voilà ce que j'appelle le Sentiment de Rationalité. En résumé, toutes les fois que le cours de notre pensée s'écoule avec une parfaite fluidité, l'objet de notre pensée nous semble rationnel au moins dans cette mesure."
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Ce qu'une personne devient lorsqu'elle n'est plus en notre présence nous est inaccessible. Notre lien à elle n'existe qu'au travers de ce que nous échangeons , créons lors des moments partagés. Le reste du temps, c'est notre propre adhésion à l'existence de ce lien qui l'entretient. A force de rencontres, le lien tend à se stabiliser au fil de sa reconnaissance sous une forme commune par les deux protagonistes. Et nous aimons à penser que nous retrouverons, une autre fois, notre histoire commune là où nous l'avons laissée, la dernière fois. Mais, iil se peut que cette stabilisation pose problème si 'lune/et ou l'autre des parties considèrent que le lien s'affaiblit chaque fois qu'elles cessent d'être ensemble. Ne suis-je pas toujours en train de quitter l'autre quand il n'est pas là, de mettre un terme avant de recommencer ? Pour que le lien perdure, nous avons besoin de croire que l'autre nous garde avec lui dans ces entre-temps.
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"Union solide entre le moi et le corps, habitation de la psyché à l'intérieur du corps, voilà comment la "personnalisation" est définie par Danièle Zucker. Dans ce cas, la désynchronisation entre mon "corps" et mon "esprit" pouvait-elle être à l'origine d'une forme de "dépersonnalisation" ? Au fil de mes lectures sur la dépression, j'avais rencontré plusieurs fois le terme, désignant "un sentiment d'étrangeté ou d'extériorité par rapport au moi et un sentiment de perte totale ou partielle de l'intégrité corporelle et (ou) psychique". Faute de parvenir à décrire de manière exhaustive comment peut s'éprouver cette dépersonnalisation, cette "perte de soi" partielle et étrange, j'ai cherché des images susceptibles de l'évoquer.
Fantômes d'abord, esprits volatiles, torturés par leur désincarnation. Ce curieux personnage de La Cité des enfants perdus, cerveau en bocal doté d'un seul pouvoir d'influence, celui de parler ; ou encore "âmes égarées" de ces récits de science-fiction qui, à la suite d'une erreur de transfert spatial, ne réintègrent pas le bon corps. Quelque chose ne collait pas, telle était l'impression, une évanescente impression d'insaisissable anormalité. J'étais Jim Carrey dans le film de Peter Weit, The Truman Show, où la vie de son personnage se révèle une terrible mise en scène, les lieux et les gens qu'ils fréquentent, des décors et des figurants, lui, le cobaye d'un jeu cruel de téléréalité.
En quelques mots : je ne me suffisais pas. Le costume était trop large ou la scène trop étriquée, les proportions discordantes ou l'éclairage inadéquat, le rôle très mauvais, tous les autres ayant été de surcroît distribués. Lorsque je cherchais à définir à tout prix qui j'étais, croyant pouvoir m'amarrer à une définition en bonne et due forme, cette version élaborée finissait par s'écrouler, exsangue par l'excès de spécification qu'il fallait lui apporter.
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