Nul ne peut vivre sans racines. La connaissance du passé explique le présent et conditionne l'avenir. Car si l'on vit parfois autrement, si les programmes, les rythmes sont différents, le cœur des jeunes n’a pas changé. Les nouvelles pousses sont là et ne demandent qu'à grandir. De génération en génération, les jeunes chefs qui pensent d'abord à servir, veillent sur cette merveilleuse passerelle tendue par le scoutisme entre l'adolescent et l'adulte.
— Pourquoi me parlez-vous de Jupinois ?
— Simple intuition... Parce que Jupinois rime avec sournois... Voyez-vous, il y a des élèves qui ont un nom prédestiné. Tenez : en vingt-et-un... non : en vingt-deux, j'en avais un qui s'appelait Tripotin. Un drôle de loustic et un drôle de nom, d'ailleurs. Eh bien, chaque fois que quelque chose disparaissait, je consignais Tripotin. Et j'avais raison. On l'a mis à la porte l'année suivante pour avoir volé des cahiers au secrétariat. C'est Piédchoux en personne qui l'a surpris, un jeudi matin, en train de farfouiller dans l'armoire aux fournitures. Les cahiers, il les revendait, ce vaurien !.. .
Il observa les garçons dont le silence et l'application le surprenaient un peu. Il se félicita intérieurement de n’avoir pas eu à faire la moindre remarque durant un tel laps de temps. Le fait était rare et méritait d'être relevé. D'autant que cette sérénité semblait tout à fait naturelle — il savait par expérience que certains calmes son parfois le signe de tempêtes à venir. Tel n'était pas le cas ce soir-là.
Jupinois était littéralement couché sur son cahier, une mèche gambadant sur la feuille où il écrivait. Curieux garçon à l'incroyable tignasse, mais aux yeux violets magnifiques.
Ce garçon ne fera jamais un bon surveillant. Trop tête en l'air ! Pas assez de poigne !... Je me demande si j'ai été bien avisé de répondre favorablement à la recommandation de mon ami Versenois. C'est son oncle, soit ; mais ce n'est pas parce qu'on est oncle qu'on est à même de juger le neveu... Cet hurluberlu n'est pas fait pour diriger des gamins.
Il y a, dans chaque classe, un malheureux innocent qu'un injuste sort pousse, bien malgré lui, à rendre la vie impossible aux répétiteurs, et désigne pour figurer avec une régularité navrante dans les colonnes du cahier de punitions.
Les dernières illustrations de Pierre Joubert, pour le récit de Serge Dalens, "La mort d'Eric". Editions "France Loisirs" 1985