Aoi ne cessait de sourire. Elle regardait ces gosses incroyables, joufflus en diable, avec leurs cheveux en bagarre sur la tête, qui nous prenaient les mains sans même y penser, comme si on était leur sœur ou leur maman... Leur maman.... Ils avaient l'âge qu'avait mon fils lorsque l'Hordre me l'avait pris. J'avais trente ans, ça fait sept ans maintenant. Je sais qu'il a fait ses classes de terre, puis la classe de fer, puis qu'il est sorti premier de la classe de braise, puis premier encore de la classe de flamme. J'ai eu des nouvelles "fraîches" qui datent de deux ans et demi, par les Glissiers. Ce sont les navires les plus fiables et les plus rapides en contre aujourd'hui. C'est comme ça : ils mettent deux ans et demi pour remonter d'Aberlaas jusqu'à nous. On ne peut guère espérer mieux. Et ce sera de plus en plus long, par définition, plus nous progresserons amont. La formation de Soren s'achève cette année. S'il a tenu. S'il ne s'est pas brûlé au troisième degré dans le maniement des coulées. S'il a traversé entier l'épreuve criminelle et absurde de l'incendie de forêt qui clôt la place de feu. Soren. J'y pense tous les jours, j'essaie de rester tout prêt de lui, de l'encourager chaque soir quand il se couche.... Parfois je lui parle de moi, parfois je le conseille, je lui donne mes trucs pour les examens..Il m'embrasse, il se jette dans mes bras....
La vérité crue, c'est que je l'oublie. Son visage se troue. Aujourd'hui, ses traits ont dû tellement se durcir. Je ne suis même plus certaine que je le reconnaîtrais s'il venait...Aoi me sourit. Elle sait vers où je dérive. Elle regarde un garçon de cinq ans qui a un peu froid et se love dans ses jupes. Les siens sont quelque part, l'un chez lairpailleur, au milieu du plateau de Briffo et l'autre à Lovodine. Ils n'appartiendront jamais à la Horde, elle a choisi pour eux. Lorsqu'ils seront assez grands et assez courageux, ils prendront peut-être un contras suffisamment puissant et ils remonteront la bande de Contre sur deux dizaines de milliers de kilomètres pour retrouver leur mère. Lui dire bonjour. L'embrasser. "Salut maman !". Le mien, je ne le verrai plus jamais - sauf s'il échoue. J'espère à la folie qu'il a échoué. Et qu'il me pardonnera alors, qu'il se dira : "Maman l'a fait pour moi, elle m'attend là-haut, je vais la rejoindre pour lui dire qu'elle continue, vas-y maman, je t'aime, va au bout du monde avec ta horde, que je sois fier de toi!"
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Nous sommes partis d’Aberlaas, Extrême-Aval, il y a 27 ans maintenant ? Nous avions onze ans. Et nous ne sommes jamais retournés.
J'ai besoin de cette énergie fluante du groupe, de sentir les tensions et les fusions qui nous traversent, chacun et tous. J'ai besoin de me sentir noué dans la pelote de nos fils.