Citations sur La zone du dehors (255)
Le travail n'étouffait personne. Le temps libre laissait amplement place aux rencontres . Mais voilà, aux trois quarts, ce temps était englouti par l'holovision et les jeux virtuels- la fameuse virtue- le plus prodigieux générateur de paix sociale jamais activé ! Laisser tranquillement l'individualisme triompher, le corps social s'atomiser, les anciens liens collectifs se défaire jusqu'à ce que chacun finisse seul face à son écran, dans un tète à tète dont le pouvoir savait toujours sortir vainqueur...Le gouvernement n'avait pas inventé - la virtue- . Il s'en servait , simplement, amplement.
"Parce que ça fait mal d'être libre."
La vérité est que nous n'avons jamais eu aussi peur de la liberté. Que plus fraîche et proche elle a été de nous, plus nous l'avons fuie, comme une femme magnifique et facile. La liberté est un feu. On veut bien s'asseoir autour pour s'y réchauffer. Éventuellement souffler sur les braises avec des mots. Mais pas se jeter dedans pour faire torche, ça non !
Se libérer, ne croyez surtout pas que c’est être soi-même. C’est s’inventer comme autre que soi.
...il avait réuissi à masquer jusqu'à la fin son système de valeurs. Ce système n'avait qu'une exigence, qui relevait plus d'un goût supérieur et subconscient que d'un principe : ne se laisser faiblir par aucune de ces considérations morales et pudibondes qu'on appelait « les droits de l'homme », « les droits de la femme », « les droits de l'enfant »,"le respect de la propriété », « la liberté réciproque »...En clair, tout ce que trois millénaires de judéo-christianisme avaient cumulé dans la conscience clapotantes des femmelettes, des retraités et des impotents, qui tous votaient, et qui, trois cents ans après l'invention du robinet en était encore à croire à l'eau bénite des bénitiers et à l'innocence des confessions.
Toute la longueur du bâtiment à ma gauche n'est qu'un vaste mirécran de huit mètres sur trois qui filme et reprojette, en gommant subtilement les défauts et les rides, tous les individus passant sur le trottoir (inutile de dire qu'il n'y a pas une femme, pas une ! qui ne se tourne discrètement vers la "glace" et ne sourit en voyant son reflet embelli....)
Si nous avons enlevé le Ré de révolte, n'était-ce pas pour signifier que nous voulions échapper à ces affrontements sans fin avec le système ? Que nous refusions de nous épuiser à le combattre, parce qu'à force de le combattre, nous savions que nous deviendrions à son image : violents, cruels, hiérarchisés... Que sais-je encore ?
Ce qui comptait : NOVER. Faire ce qu'on ne savait pas faire. Toujours se tenir à la pointe extrême de son savoir, là où tout nouveau pas, droit vers le gouffre, créait le sol qui le soutiendrait.
Le monde a une réalité. C'est d'elle qu'il faut partir, non d'un modèle idéal qu'il s'agirait d'approcher au plus près. Le monde est. Le monde est ce qu'il est. Peu importe ce qu'il pourrait être, ce qu'il aurait pu devenir, ce qu'il sera si...
Si les tours panoptiques gardent un tel mystère, si le gouvernement s'est refusé avec une belle constance à en clarifier la fonction, ce n'est pas pour couvrir un projet crapuleux de surveillance exhaustive. C'est dans l'intention que chacun y mette ses démons propres, ses visages redoutés de mère inquisitrice, ses paranoïas intimes et ses dieux vengeurs. Eux, la police ne peut pas les inventer.