Magda

Je souris avec gratitude. Il dormait peut être avec Melchior le dromadaire et il était à coté de la plaque une fois sur deux, mais il savait parler aux asociaux chroniques dans mon genre. Ou alors Jean-Michel lui avait laissé des consignes. C'était possible aussi.

-Il a un nom ? s'enquit Ruben en désignant le chat blanc duveteux sur mes pieds.
- Pilou, répondis-je, pas très sûre qu'une jeune femme de vingt ans soit censée dormir avec une peluche - mais sans possibilités de m'en assurer à cause de mon absence d'amis.
- C'est mignon. Moi j'ai un dromadaire qui s'appelle Melchior.
Ah. Donc j'étais normale. Quoique. Nous parlions de Ruben, pas de conclusions hâtives.

Ruben avait parfois des flashs, mais il n’arrivait jamais à déterminer s’il s’agissait de véritables souvenirs ou juste d’une lubie. Il s’était ainsi successivement persuadé que j’aimais le parachutisme, que ma famille possédait un hôtel particulier à Bagdad et que j’élevais des poulpes dans un aquarium géant. À mon avis, il confondait ses souvenirs potentiels avec ses fantasmes. Ou avec ses cauchemars, au choix.

Moi qui n’avais jamais connu l’amour qu’à travers les romans et les témoignages sur des sites de sexologie sur internet, j’avais trouvé ça… différent. Les livres étaient à mille lieues de la réalité. Rien ne pouvait vraiment décrire ce que j’avais ressenti quand Ruben avait laissé sa main sur mon ventre, même une fois endormi. Je l’aimais tellement…

Et voilà que ces gens qui ne me connaissaient pas me donnaient une chambre si adorable ! On m’avait même mis des fleurs ! Et moi… Et moi, tout ce que je pouvais leur apporter, c’était le malheur si jamais ils s’approchaient trop près de moi ! Bouleversée, je sentis une boule se former dans ma gorge sans réussir à la stopper.

Les ondes que nous mesurons sont tellement difficiles à détecter que nous devons nous affranchir de toute interférence due à l’hyperconnectivité du monde moderne. D’ailleurs, vous voulez bien éteindre votre téléphone ? Vous ne captez pas ici, mais les portables envoient tout de même des signaux pour chercher leur satellite et ça brouille nos appareils…

Les ondes émises par les humains sont très difficiles à mesurer avec la technologie actuelle, car elles sont très faibles, répondit le jeune homme en se laissant tomber sans la moindre gêne sur mon lit défait. Les sujets atteints de malédictions sont très intéressants car leurs ondes sont beaucoup plus puissantes que les autres.

...quand Galilée a dit que la Terre tournait autour du Soleil, cela paraissait si aberrant à l’époque que ça lui a valu l’excommunication. Nous ignorons tout des ondes, car nous avons du mal à les observer. Mais on sait que certaines traversent l’univers et que d’autres ont assez de puissance pour pulvériser des planètes entières si elles se trouvent sur leur chemin. Partant de là, pourquoi les ondes que nous émettons n’auraient-elles aucune influence sur notre environnement ?
Muette de sidération, j’écoutais de toutes mes oreilles. La Malédiction serait une histoire d’ondes émises par mon cerveau ? Je ne pouvais pas croire quelque chose d’aussi simpliste !

Il y a souvent une grosse part d’inconscient dans les malédictions générationnelles, expliqua-t-il sur un ton bien plus grave. Vous avez l’impression que vous méritez votre malheur parce qu’on vous a répété toute votre enfance que vos ancêtres avaient fauté. Donc vous l’entretenez et vous dramatisez tout.

Non seulement vous attirez les ennuis, mais en plus, vous les attirez sur les autres. Ça sent la malédiction à dix kilomètres.