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Critique de Charybde2


« La fin d'une histoire c'est déjà une longue histoire » : du making of d'un documentaire fictif sur la rupture sentimentale, extraire la belle et dangereuse douceur poétique de la tentative amoureuse.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/05/28/note-de-lecture-sabandonner-severine-danflous/

D'emblée en résonance avec la manipulation contemporaine des « Métamorphoses » d'Ovide opérée par Yoko Tawada, mais à travers le matériau souterrain des « Héroïdes », ces lettres fictives d'amour et de séparation composées par le poète latin vers 10 av. J.-C., « S'abandonner » retrace à la première personne les tribulations du making of d'un documentaire consacré aux lendemains de la rupture sentimentale (ou amoureuse – la distinction subtile s'y dissimulera peut-être dans les plis de la carte, du Tendre ou des cafés parisiens – terrain choisi par le réalisateur pour la confidence enregistrée, après mûres hésitations et réflexions – Gilles Marchand, Ken Bugul et Ahmed Slama en savent l'importance, comme nous le notions récemment sur ce blog).

Trois ans après « Brune platine », « S'abandonner », deuxième roman de Séverine Danflous, publié chez Marest Éditeur en mars 2021, se situe lui aussi à la charnière vitale de la création audiovisuelle et de la relation amoureuse. Délaissant en apparence le moment de la naissance du sentiment et la pure image cinématographique, il se déplace en beauté et en habileté vers l'instant de la séparation et de ses lendemains, et s'appuie au premier chef sur le son, sur la « voix endeuillée ». Mais au fil des pages, un constat s'imposera sans doute, rapprochant rencontre et rupture comme deux faces d'une pièce unique, et mêlant sons et images comme concentré de parole créatrice, conjuratoire ou exorciste.

Si, entre lavage d'amour à la machine avec Alain Souchon et tourbillons hypnotiques post-partum avec Björk, c'est bien la captation de la voix – et de l'éventuelle musique qui l'accompagne en sourdine – qui est centrale ici, quelques indices et présences n'ayant rien de fantomatique, se glissent au fil des pages, portées par celle du « Chant-contre-chant » cher à Nanni Moretti et à Pierre Sky / Sébastien Smirou, des aliénées de la Salpêtrière dépeintes par la Perrine le Querrec de « Les trois maisons » aux personnages secondaires entrevus par Anne Savelli derrière les « Fenêtres », de l'infiltration de la réalité par Carlos Saura et Robert Altman, Jean Eustache et Claude Sautet, aux peintures de Hammershøi ou aux dessins de Saul Bass : le Paris que portent en elles les icônes parlantes du désamour qui sont interrogées, avec leurs variations tantôt attendues tantôt aventureuses, transforment naturellement le narrateur – et peut-être davantage encore la lectrice ou le lecteur.

De la part d'une autrice qui est aussi enseignante de lettres et de cinéma, et à qui l'on doit de remarquables essais autour de Franz Kafka ou de Tennessee Williams, il n'est au fond pas étonnant – mais quel plaisir à ce surgissement ! – que l'exploration documentaire mise en scène aux côtés du narrateur, dont la lectrice ou le lecteur ne peuvent que partager la jolie relation au rôle ambigu des installations et des dispositifs, assise sur une présence aussi résolument physique des images et des sons, vienne questionner la neutralité documentaire et l'observation participante : percer les petits et les grands mystères (avec leurs forêts de symboles volontaires et involontaires) qui entourent la manière dont l'émotion et l'intellect s'accordent et se désaccordent, inscrire l'abandon au terme d'une ligne de fuite aussi risquée que salutaire, c'est bien saisir dans le vif de l'enquête ce que la littérature, la vraie, sait si bien emprunter au reportage pour le transfigurer et pour nous l'offrir, différent, vivant et chaud. Et ainsi souligner in fine la puissance du Graal salutaire et ambigu qu'aura été l'abandon tout au long de ces 199 pages.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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