De la même manière qu'une main se glisse sous un gant, que des yeux vivent derrière des verres teintés, il est des voix qui portent un voile.
Plus on est soi, plus on est seul.
- Tout dans la vie se disperse, c'est terrible parfois, rien n'a de sens. Alors il y a les livres pour savoir où on va.
Se fier à une voix, c'est parfois comme suivre une femme font on n'a vu que le dos : et j'ai fermé les yeux.
Les écrivains sont des gens étranges qui font leur deuil des choses qu'ils n'ont pas encore perdues.
Pour ma part, je l'ai terminé il y a une semaine, ce roman dont je t'avais parlé. Pas de titre pour l'instant. Je viens de le relire pour la énième fois, quelques retouches encore, je pourrai bientôt emballer l'objet, le mettre sous enveloppe. M'en débarrasser. Je suis à la fois content et écoeuré. Blues de la fin, comme quand s'achève une fête. La nuit passée, j'ai consacré un long moment à relire presque toute les poèmes que j'ai publiés durant les années 80, quand j'écrivais encore des poèmes. Tu ne peux pas savoir comme ça m'a rendu triste. Où sont-elles passées, la fraîcheur et la force de cette époque ? Je me suis dit que plus j'amais je n'écrirais comme ça. Ce sont les pages de la jeunesse désormais révolue. Je suis devenu un professionnel, je connais mon numéro.
Aux angoisses et aux envols et aux grandes questions ont succédé des réflexions techniques. Je vérifie les cordes du piano et la hauteur du tabouret... Il m'arrive de détester les livres que j'écris aujourd'hui. Et de regretter l'inconscience dans laquelle j'écrivais autrefois, même si j'ai connu alors un malheur de vivre suffisant pour me donner, comme tut le sais, l'idée de poser le point final. J'aimerais qu'il pleuve, qu'il pleuve à n'en plus finir sur ce printemps qui s'achève en étuve et sur l'encre de toutes les feuilles que j'empile parce que je ne sais faire que cela, au fond, que c'est devenu une habitude, un mode de vie.
J'écris parce que la vie est ennuyeuse la plupart du temps, parce que c'est une suite sans fin de contraintes et de soucis. J'écris pour penser à autre chose ou, mieux, pour ne penser à rien. J'écris parce qu'écrire, c'est comme être amoureux, on est nouveau, libre - et porté par un désir formidable; et c'est mieux qu'être amoureux, parce qu'être amoureux, c'est l'être de quelqu'un, et quelqu'un, c'est le début des malentendus et des déchirements.
Tant de visages avaient défilé dans mes rêves qu'il m'a fallu un moment pour être sûr que j'étais seul dans ma chambre.
Il faut profiter de l'immortalité sans tarder - c'est la plus courte des saisons.
- Vous écrivez? lui ai-je demandé.
- J'en ai rêvé, mille fois, mais j'en suis incapable. Rien ne se passe, sinon des formules glacées, des embryons de récits refermés sur eux-mêmes. L'écriture n'est pas mon chemin, il ne suffit pas d'en avoir envie, n'est-ce pas?