Si vous voulez vous offrir deux heures hors d'un temps pesant et d'un espace tridimensionnel.
Si vous aimez les plumes pensantes et les cerveaux d'auteurs qui syntaxent avec aisance et talent.
Si vous avez le goût des histoires d'amour vipérines, des huis clos agathachristiens sur fond de concassage cigalien, de moonlight shadow version
Vincent Scotto, d'angéliques mantes religieuses en proie à des pulsions érotico-homicidiales, des amours sororales au parfum soporeux, des trains qui sifflent trois fois avant que le shérif perde sa bonne étoile... bref, si vous êtes prêt à embarquer pour une série noire haletante dans le lâcher prise et le plaisir sans formalisme, ce Dard-là est fait pour vous.
J'ai fait mention d'un huis clos et c'en est un. À ceci près que l'espace est plastique, extensible, qu'il ne se réduit pas à la seule maison épicentre de l'action. Il y a des moments où le lecteur peut "s'aérer" et reprendre son souffle.
En revanche, si je dis que le roman est un huis clos psychologique, c'est qu'il ne met en scène que cinq personnages :
Victor, jeune et bel animateur radio parisien de vingt-huit ans au chômage, venu tenter sa chance sur la Côte d'Azur.
Les soeurs Lecain : Hélène l'ainée, une belle jeune femme sportive de trente-deux ans et sa cadette Ève, vingt ans, paralysée depuis sept ans à la suite d'une attaque de polio. En fauteuil roulant, cette très belle jeune fille est aussi passionnée qu'Hélène semble "introvertie" et presque austère.
Les deux soeurs vivent recluses, isolées du monde... pourtant, elles sont jeunes, très belles, brillantes et très riches...
Amélie, la vieille domestique très attachée aux deux soeurs au service desquelles elle est depuis toujours, et dont l'affect à leur égard est "ambivalent".
Et pour finir, il y a le bon Docteur Boussique, médecin de famille "pagnolesque".
En presque 200 pages, la focale est orientée en permanence sur Victor, Hélène et Ève, ce qui permet à l'auteur de "psychologiser" à sa guise ce huis clos et de donner de l'intensité, voire de l'épaisseur à ses protagonistes... en collant le lecteur en permanence à "leurs basques"...
Victor démissionné de son émission de radio parisienne est venu à Monte-Carlo jouer sa dernière carte au Casino.
Après avoir tout perdu, il est d'abord tenté par le suicide avant finalement de déambuler au hasard le long du bord de mer.
Une voiture de luxe américaine s'arrête à sa hauteur.
Au volant une jeune femme dont un foulard lui masque le visage l'invite à monter.
Il hésite puis finalement cède à l'invitation.
L'inconnue est vêtue d'une robe moulante blanche, qu'après s'être garée dans un coin tranquille à l'abri des regards, elle dégrafe par le devant, s'offrant à son passager.
Nue, son corps est jeune et terriblement désirable.
Victor cède.
L'étreinte est passionnée.
Le plaisir consommé et consumé, l'inconnue invite Victor, sans égards, à descendre de la voiture...
La séparation est tumultueuse.
La belle américaine démarre sur les chapeaux de roue.
Victor a le temps de noter le numéro de la plaque minéralogique.
Après quelques recherches, il retrouve le nom et l'adresse du ou de la propriétaire.
Car Victor veut savoir qui est l'inconnue... quel visage a cette rencontre insolite.
Dans une vaste demeure luxueuse et baroque des environs de Cannes, il est introduit par Amélie auprès des soeurs Lecain.
Hélène est la propriétaire de la voiture.
Ève sa soeur en fauteuil roulant ne peut la conduire.
Or la voiture est dans le garage de la propriété et ne peut avoir été empruntée que par l'une des deux soeurs.
Victor, beau jeune homme fauché, Hélène et Ève, deux soeurs privées "d'affection" et de "tendresse" ; entre ces trois "paumés" va naître un triangle amoureux dans lequel se cache une... ou deux vipères... et dont le venin a été secrété par...
Ce n'est pas le meilleur roman noir de
Frédéric Dard, et même si l'intrigue est loin d'être un casse-tête insoluble, cette histoire se laisse lire avec une véritable gourmandise.