Notre vie dans les forêts

" Il y avait sur la mer on ne sait quelle sombre attente. " [Victor Hugo]
La mer avec cette phrase on aurait dit un immense réservoir de possibles.

La forêt était étourdissante. De toutes petites feuilles d'un vert très clair, d'un vert tellement naturel qu'il me semblait artificiel, le vert de quand on pense au vert : de toutes petites feuilles qui poussaient au bout d'absolument toutes les branches. On avait envie de les toucher, d'être touchée par ce feuillage doux et velu et si vert. Et le fait de ne rien entendre dans l'oreille que le bruit du vent dans les arbres, et occasionnellement, oui, un oiseau. Étourdissant. Je vibrais. Je respirais. Pas de sollicitations, rien. Juste l'invitation du vent, des arbres et des oiseaux, et du soleil.

Je ne savais pas quoi faire, comment agir sur lui, mais j'aimais bien son atmosphère. C'est une chose qu'on a ou qu'on n'a pas, en psycho : le goût de l'atmosphère de l'autre. Si vous ne l'avez pas, faites autres chose. L'atmosphère de quelqu'un. Comme en amour. S'y plaire. S'y baigner.

Vivante mais pas en vie.

Marie est plus jolie que moi, je me disais. Ça devait me rassurer, en fait. La psychologue du Centre de repos me disait que non. La psychologue disait que nous avons le même nez au millimètre, les mêmes yeux, les mêmes sourcils, les mêmes mâchoires, tout, tout exactement pareil, et donc que je suis aussi jolie que Marie. Mais ce n’est pas vrai. Marie me semblait, à cette époque, éternellement plongée dans un bain de lait. Même aujourd’hui, son visage est si lisse que j’ai envie de la massacrer. On dirait la Joconde (la Joconde est un célèbre tableau du XVIe siècle). Quand elle dormait, on aurait dit une Joconde horizontale. Mystérieuse, pensive. Pensive mes fesses. À l’époque je ne l’appelais pas la Chochotte. C’est venu après. Quand il a fallu tout lui apprendre, et qu’elle avait peur de tout. Le moindre bobo. La vie dans la forêt.