SONNETS SUR LE MESME SUBJECT
[9]
Qui sont, qui sont ceux-là, dont le cœur idolatre,
Se jette aux pieds du Monde, et flatte ses honneurs ?
Et qui sont ces valets, et qui sont ces Seigneurs ?
Et ces Ames d’Ebene, et ces faces d’Albastre ?
Ces masques desguisez, dont la troupe folastre,
S’amuse à caresser je ne scay quels donneurs
De fumées de Court, et ces entrepreneurs
De vaincre encor le Ciel qu’ils ne peuvent combattre ?
Qui sont ces lovayeurs qui s’eslognent du Port ?
Hommagers à la vie, et felons à la Mort,
Dont l’estoille est leur Bien, le Vent leur fantasie ?
Je vogue en mesme mer, et craindroy de perir,
Si ce n’est que je scay que ceste même vie
N’est rien que le fanal qui me guide au mourir.
Tout s’enfle contre moy, tout m’assaut, tout me tente,
Et le Monde et la Chair, et l’Ange révolté,
Dont l’onde, dont l’effort, dont le charme inventé
Et m’abisme, Seigneur, et m’esbranle, et m’enchante.
Quelle nef, quel appuy, quelle oreille dormante,
Sans péril, sans tomber, et sans estre enchanté,
Me donras-tu ? Ton temple où vit ta Saincteté,
Ton invincible main, et ta voix si constante.
Et quoi ? Mon Dieu, je sens combattre maintesfois
Encor avec ton Temple, et ta main, et ta voix,
Cet Ange révolté, ceste Chair, et ce Monde.
Mais ton Temple pourtant, ta main, ta voix sera
La nef, l’appuy, l’oreille, où ce charme se perdra,
Où mourra cest effort, où se rompra ceste Onde.
LES AMOURS DU SIEUR DE SPONDE
[1]
Si c’est dessus les eaux que la terre est pressée,
Comment se soustient-elle encor si fermement ?
Et si c’est sur les vents qu’elle a son fondement
Qui la peut conserver sans estre renversée ?
Ces justes contrepoids qui nous l’ont balancée
Ne panchent-ils jamais d’un divers branslement ?
Et qui nous fait solide ainsi cet Element
Qui trouve autour de lui l’inconstance amassée ?
Il est ainsi, ce corps se va tout souslevant
Sans jamais s’esbranler parmi l’onde et le vent,
Miracle nompareil, si mon amour extresme
Voyant ces maux coulans, soufflans de tous costez
Ne trouvoit tous les jours par exemple de mesme
Sa constance au milieu de ces legeretez.
Jean de SPONDE – Qui est cet inconnu ? (France Culture, 1964)
Un extrait de l’émission « Art et Littérature », par Madeleine Bariatinsky, diffusée le 12 juin 1964. Lecteur : Jean Martin.