Sonnets de la Mort – XII – Tout s’enfle contre moy
Tout s’enfle contre moy, tout m’assaut, tout me tente,
Et le Monde, et la Chair, et l’Ange révolté,
Dont l’onde, dont l’effort, dont le charme inventé
Et m’abisme, Seigneur, et m’esbranle, et m’enchante.
Quelle nef, quel appuy, quelle oreille dormante,
Sans péril, sans tomber, et sans estre enchanté,
Me donras-tu? Ton Temple où vit ta Saincteté,
Ton invincible main, et ta voix si constante ?
Et quoy ? Mon Dieu, je sens combattre maintes fois
Encor avec ton Temple, et ta main, et ta voix,
Cest Ange revolté, ceste Chair, et ce Monde.
Mais ton Temple pourtant, ta main, ta voix sera
La nef, l’appuy, l’oreille, où ce charme perdra,
Où mourra cest effort, où se rompra ceste onde.
Sonnets de la Mort – 03
Ha ! que j’en voy bien peu songer à ceste mort
Et si chacun la cerche aux dangers de la guerre !
Tantost dessus la Mer, tantost dessus la Terre,
Mais las ! dans son oubli tout le monde s’endort.
De la Mer, on s’attend à ressurgir au Port,
Sur la Terre, aux effrois dont l’ennemy s’atterre :
Bref, chacun pense à vivre, et ce vaisseau de verre
S’estime estre un rocher bien solide et bien fort.
Je voy ces vermisseaux bastir dedans leurs plaines
Les monts de leurs desseins, dont les cimes humaines
Semblent presque esgaler leurs cœurs ambitieux.
Geants, où poussez-vous ces beaux amas de poudre ?
Vous les ammoncelez ? Vous les verrez dissoudre :
Ils montent de la Terre ? Ils tomberont des Cieux.
Jean de SPONDE – Qui est cet inconnu ? (France Culture, 1964)
Un extrait de l’émission « Art et Littérature », par Madeleine Bariatinsky, diffusée le 12 juin 1964. Lecteur : Jean Martin.