Les origines de la lithographie sont des plus nobles, elle n'est point sortie comme la gravure au burin son aînée de l'atelier des orfèvres. Elle n'a pas eu besoin comme elle qu'un Louis XIV, à la demande d'un Nanteuil, l'affranchît des entraves serviles d'une confrérie de métiers. Jamais on ne vit art éclos sous une plus prometteuse étoile : elle passe de Carle Vernet à Géricault, à Prudhon, Ingres et Gros ; elle fait la fortune des Horace Vernet, Chariet, Bonnington, Bellanger, Gavarni, Daumier, Henri Monnier, Eugène Lami, RafTet, Devéria, Lemud . . .
Chacun trouve en elle l'instrument le plus souple et le plus docile; elle est pure et douce avec les sévères ; elle est chaude, violente et colorée avec les passionnés, elle seule a pu supporter les tons éclatants de Géricault, de Decamps, de Delacroix — ce dernier confiant à la pierre les rêveries que lui inspirait le Faust de Goethe.
On connaît l'ultime bon mot de Carle Vernet sur son lit de mort : « On dira de moi ce qu'on disait du Grand Dauphin : « Fils de roi, père de roi, et jamais roi ». Fils de Joseph Vernet et père d'Horace, Carle Vernet passa longtemps pour avoir proclamé là une incontestable vérité. Mais voici qu'aujourd'hui enfin les critiques aussi bien que le public revisent un jugement que l'on peut à juste titre qualifier de hâtif puisqu'il s'agissait en effet de se prononcer sur une oeuvre qui devait être dédiée aux siècles.
Mais celui des trois Vernet dont la gloire ait eu le moins à souffrir de « l'outrage des ans », c'est assurément Carle. Cela tient-il uniquement à ses très réelles qualités de peintre, de lithographe, de dessinateur? Nous n'oserions l'affirmer. Gela nous semble provenir, plutôt, du caractère très aigu de modernisme par quoi se distingue son oeuvre, et nous ne le discernons pas seulement, ce caractère, dans la technique du peintre et du graveur ; il est aussi, il est surtout dans le choix du sujet.