Je vois la ligne rouge du coucher de soleil qui sépare le jour de la nuit, je pense que le monde est l’œuvre du roi du verbe diviser et j’attends la ligne qui viendra me détacher des jours.
La vie est un long trait continu et mourir, c’est aller à la ligne sans le corps. Je vois les piqués des oiseaux dans le creux des vagues, et même le poisson qui a toute la mer pour se cacher ne peut se sauver.
Je lis de vieux livres parce que les pages tournées de nombreuses fois et marquées par les doigts ont plus de poids pour les yeux, parce que chaque exemplaire d'un livre peut appartenir à plusieurs vies.
La guerre, c'est quand les jeunes rêvent de devenir grands-pères.
La vie est un long trait continu et mourir, c'est aller à la ligne sans le corps. Je vois les piqués des oiseaux dans le creux des vagues, et même le poisson qui a toute la mer pour se cacher ne peut se sauver.
Il y a des créatures destinées les unes aux autres qui n'arrivent jamais à se rencontrer et qui se résignent à aimer une autre personne pour raccommoder l'absence. Elles sont sages.
Je lis seulement des livres d’occasion.
Je les pose contre la corbeille à pain, je tourne une page d’un doigt et elle reste immobile. Comme ça, je mâche et je lis.
Les livres neufs sont impertinents, les feuilles ne se laissent pas tourner sagement, elles résistent et il faut appuyer pour qu’elles restent à plat. Les livres d’occasion ont le dos détendu, les pages, une fois lues, passent sans se soulever.
(Incipit)
Je mets le livre dans la poche intérieure de ma veste, je l'appuie contre ma poitrine. Dans l'ancien emplacement de l'arme il y a maintenant le tout autre.
Les nuages sont pleins du souffle des prières.
Ils nous massacrent tous, nous, ceux de la révolte.
Nous giclons d'une cachette à l'autre.
Nous portons sur nous l'odeur de la peur. Dans la rue, les chiens le sentent et nous suivent.
Dans la fuite nous cherchons une vengeance.
L'Argentine arrache une de ses générations au monde comme le fait une folle avec ses cheveux. Elle tue sa jeunesse, elle veut s'en passer. Nous sommes les derniers.
Je m'apprête à passer la nuit dans la cabane à outils, car il n'y a plus de train après dîner. Je bêche sous les lauriers. De leurs feuilles épaisses, toujours vertes, ils protègent les moineaux qui , le soir , se disputent la place la plus chaude, près du tronc. Ils se disputent pour vivre. Puis ils ont un murmure de mise en ordre, je pense qu'ils prient.
Ce n'est qu'au printemps que je taille les lauriers, quand ils ne servent plus d'abri aux moineaux.
J'aime brûler les restes de leur feuillage. Ils font une fumée qui étourdit et fait revenir en mémoire les disparus.