Citations sur La bicyclette bleue, tome 1 (61)
Il vaut mieux être vieux que mort.
Trop de hâte a perdu le serpent jaune qui voulait avaler le soleil.
Rien de tel que les heure graves pour inciter à la débauche. Dame, on ne sait pas de quoi demain sera fait, et il s'agit de jouir vite. Et puis, il faut bien chercher l'oubli, dans le stupre ou dans l'alcool, quand on est le spectateur impuissant de la débandade d'une nation. jamais je n'aurais pensé être le témoin de tant de lâchetés. Nous sommes les vieillards débiles d'un vieux pays qui, depuis deux cents ans, se désagrège par l'intérieur. Il faut bien en prendre son parti.
-Je vais vous raccompagner. Il n’est pas prudent qu’une jeune et jolie femme soit seule dans les rues par les temps qui courent.
-Mais, il n’y a personne.
-Justement, c’est ce qui est dangereux. Croyez-en un amateur de coins sombres. C’est toujours dans les coins tranquilles que se cachent les mauvais garçons.
Voir et être vu a toujours été la règle du monde parisien.
Moi, monsieur ? Jamais. C’est ici que j’ai grandi, je suis né dans une cour de la rue des Grands-Augustins, j’ai fait mes classes quai Saint-Michel, j’ai perdu ma vertu à l’ombre de Saint-Julien-le-pauvre et je m’suis marié à Saint-Séverin. Ma défunte femme qui était le fille d’un brocanteur de Belleville est enterrée au Père-Lachaise, ma fille tient un bistrot à Montmartre, mon fils aîné a une bonne boîte en face de Notre-Dame, et mon dernier quand y reviendra de c’te putain de guerre, y prendra ma suite. Nous autres, en dehors de Paris, on s’étiole du corps et de la tête. Alors on reste. Pas vrai, Germaine ?
La grosse femme à le peau brunie comme celle d’un marin opina bruyamment :
Tu l’as dit bouffi.
Août touchait à sa fin. Léa, la deuxième fille de Pierre Delmas, qui venait d'avoir dix-sept ans, les yeux mi-clos, assise sur la pierre encore chaude du petit mur de la terrasse de Montillac, tournée vers la plaine d'où montait certains jours l'odeur marine des pins, balançait ses jambes nues et bronzées aux pieds chaussés de bazadaises rayées. Les mains appuyées sur la murette de part et d'autre de son corps, elle se laissait aller au voluptueux plaisir de sentir sa chair vivre sous la légère robe de toile blanche. Elle soupira de bien-être et s'étira avec une lente ondulation, telle sa chatte Mona quand elle se réveillait au soleil.
- Mademoiselle Delmas, aurai-je le bonheur de vous revoir ?
- Cela m’étonnerait, monsieur. Je reste peu de temps à Paris et je suis très occupée à voir mes amis.
- Alors nous nous reverrons, je me sens plein d’amitié pour vous.
(p. 93)
Que pouvez-vous comprendre de la vie d'un écrivain, de son combat quotidien entre son désir de vivre et son désir d'écrire ? Ce sont deux choses incompatibles. Je suis comme Oscar Wilde, je veux mettre du génie dans mes oeuvres et dans ma vie. Et cela ne se peut. J'enrage, mais il faut choisir : vivre ou écrire.
J'ai des bonheurs, mais jamais un bonheur complet. Je suis habité par une souffrance aigüe, confuse et profonde, qui ne me quitte jamais. À vingt ans, je voulais écrire un livre sublime ; maintenant, je me contenterai d'un bon livre. Car ce livre, je le porte en moi. Mon travail d'écrivain, c'est le seul que j'aime vraiment, et c'est le seul que je parviens pas à faire. Tout me distrait et m’entraine, je m'éparpille. J'ai l'ambition d'une gloire future mais pas d'ambition quotidienne. Tout me lasse très vite. J'aime tout le monde et personne, la pluie et le beau temps, la ville et la campagne. Je garde au fond de l'âme la nostalgie du bien, de l'honneur et des lois dont je ne me suis jamais soucié. Quoique fâché de ma mauvaise réputation, j'ai la faiblesse d'en tirer vanité. (…) Je ne m'aime pas, mais je me veux du bien.