Je pensais juste que j’avais eu de la chance, que c’était moi qu’elle avait choisi ce jour-là, dans la cabine d’essayage du Printemps. Moi avec lequel elle voulait des enfants, Joséphine, toi ; boire des blood and sand au bar d’un hôtel au nom imprononçable au Mexique ou ailleurs ; avec qui elle voulait vieillir. Celui qu’elle voulait rendre heureux. Je pensais que c’était à moi qu’elle offrait ce qu’elle refusait aux autres, mais l’amour rend aveugle, et sourd, et seul, et mutile, et on ne le sait qu’après.
On grandit mal sans l'ombre d'une mère. On grandit de traviole. On devient des ronces.
La gentillesse ne fait pas l'amour. Elle fait le compagnonnage. Une promenade de trente ans tout au plus.
Pourquoi le désir ça met toujours le feu et ça finit en cendres.
Alors, finalement, nos vies valurent la peine.
Papa, si tu veux faire du Riva sur le lac de Côme ou traverser la Provence en Bentley, boire du pétrus de 1961 ou de 1990, c’est maintenant. C’est maintenant que tu dois me le dire, que tu dois nous le dire. Tu as le droit de choisir ce qui ne dure pas, tu as le droit de choisir la légèreté, de laisser triompher ton bon plaisir, ton égoïsme, tu n’as plus le droit aux regrets.
Pourquoi est-ce lorsqu'on les perd qu'on croise enfin ceux qui nous ont manqué ?
Je me suis dit que le bonheur on ne le sait qu'après ; on ne sait jamais qu'on est en train de le vivre, contrairement à la douleur.
Mes parents avaient voulu un enfant pour très vite être une famille, c'est-à-dire un couple à qui on ne poserait pas de questions ; un enfant, pour mettre une certaine distance entre le monde et eux. Déjà.
Il y a des journées parfaites parfois. On ne s'en méfie pas. On les croit normales.