Je me suis dit que le bonheur on ne le sait qu'après ; on ne sait jamais qu'on est en train de le vivre, contrairement à la douleur.
Elle commence où, la lacheté, Léon ? Dans le regard de votre mère qui n'arrive pas à se détacher de yeux verts, un 14 juillet, sur une place Aristide-Briand ? Dans les soupirs d'un étudiant en chimie qui renonce à changer le monde pour une fille qui aime la couleur de ses yeux ? Dans la fumée mentholée, qui anesthésie doucement et fait, jour après jour, renoncer aux beautés du monde ? Dans les mains qui abandonnent l'enfant, là, à lui-même?
Elle commence où ? Pas besoin d'une mère suicidée, d'un père absent, d'un adulte qui vous frappe ou qui vous ment. Pas besoin de tragédies, de sang. Une méchante phrase à la sortie de l'école suffit, tu en sais quelque chose. Un baiser de votre maman qui ne s'envole pas suffit, des sourires qui ne se posent pas sur votre épaule, comme une plume. Quelqu'un qui ne vous aime pas suffit.
J'ai su très tôt que j'étais un lâche.
On pousse tordu sans l'amour d'une maman. On grandit de traviole.
Comprendre, c'est faire un pas de géant vers l'autre. C'est le début du pardon.
La meringue de chez Montois, ça s'appelait tête-de-nègre avant? On a changé le nom à cause de nègre. A cause de ce qu'on peut dire, ou pas dire. Mais on peut continuer à être traité de con, à être viré comme une merde, à être quitté sans raison. A souffrir tout seul.
Je n'ai jamais été kidnappé. Ils n'ont donc jamais donné leur vie pour moi. Et je n'ai pas été sauvé.
L'enfance durait si peu de temps, elle s'enfuyait à l'instant même où l'on ouvrait les bras, où l'on commettait l'erreur de penser qu'elle reviendrait d'elle même.Garder sa part d'enfance était le seul moyen de rester vivant.
Pourquoi est-ce lorsqu'on les perd qu'on croise enfin ceux qui nous ont manqué ?
C'est ce soir là que je t'ai perdu, papa,que nos faiblesses ont triomphé.Ce soir-là que mon adolescence orpheline a commencé.
Il nous a expliqué pourquoi les tête-de-nègre étaient devenues Othello, mais que ce n'est pas en changeant le nom d'un gâteau qu'on allait rendre les gens plus tolérants, plus doux, plus généreux. (p334)