Un ami, c'est à la fois nous-même et l'autre..Joseph Kessel
..., il finit par se retourner. Alors le souffle lui manqua soudain. Sa bouche s'ouvrit sur le vide. Ses lorgnons chutèrent de son nez. Se yeux s'arrondirent et une brisque frayeur lui glaça les sangs.
Lui faisant face, parfaitement calme et à son aise, le poète rigola doucement.
"Je t'avais bien dit que j'avais trouvé, non ? Qu'est-ce que tu en penses mon colon ? On va faire un effet boeuf, avec ça..."
- Vous me trouvez pathétique n'est-ce pas?
- Pas du tout détrompe-toi. Pour aimer comme ça, je crois au contraire qu'il faut un certain courage. C'est plutôt les autres que je trouve pathétiques, comme tu dis. Ceux qui se marient comme ils achèteraient un chien de chasse, alors qu'ils n'ont même pas de fusil. Un chien de chasse pour le dresser à leur main, pour ne pas se sentir seuls. Ceux là ,oui ce sont de véritables cocus triomphants en puissance, des rois sans royaumes, des rêve-petit et des bande-mou de l'amour, si tu veux bien me passer l'expression...
A toutes celles et tous ceux qui, tapis dans la nuit,
savent encore rêver à leur étoile.
C'était donc là qu'Erik Satie, le bon maître d'Arcueil, s'était terré, à l'abri des regards, sans recevoir personne. C'était ici ce qu'il appelait, avec un orgueil demesuré, sa tour d'ivoire ou son repaire de Notre-Dame-des-Bassesses. Il n'avait jamais bougé de là, n'avait jamais voyagé, se contentant vraisemblablement de mâcher et de remâcher ses rêves et ses cauchemers dans la solitude la plus complète. Il n'y avait pas d'eau courante. Encore moins de gaz ou d'électricité. C'était celà l'univers d'Erik Satie, le créateur des Gnossiennes qui, elles, voyageaient maintenant à travers le monde, libres de toutes entraves, applaudies, admirées, louées pour leur modernité.
Casser les codes et choquer pour choquer ne suffit pas à produire de la bonne littérature.
L’essentiel dans un voyage est le voyage lui-même. Jamais le but.
(entre Blaise Cendrars et Eric Satie)
Aussitôt, le musicien porta sa main gantée à son visage et réajusta ses lorgnons sur la hampe de son nez. Enfin, tout en lissant entre ses doigts sa barbiche de chevrier taillée en pointe, il expliqua :
- "Cher ami, je suis connu dans le quartier. Je veux bien boire l'apéritif avec vous, mais vous aurez remarqué que je n'ai plus l'âge de m'enfuir en courant.
- Quoi ? Le Maître n'a pas le rond ? Toi ?
- Ni le rond, ni le carré.
- Et encore moins l'ovale ou le triangle, je suppose.
- Vous supposez parfaitement bien.
- Et alors ? On ne va pas s'en faire pour si peu, non ? L'argent ça finit toujours par se trouver. Ne t'inquiète pas, ma vieille ...."
Tout en indiquant d'un mouvement du menton la brochette de Russes blancs qui, au comptoir, achevaient de s'arsouiller avec méthode, il se voulait rassurant :
"Ils paieront pour nous ..."
Casser les codes et choquer pour choquer ne suffit pas à produire de la bonne littérature.
- Et qu'est-ce que la bonne littérature, selon vous ?
- Une littérature qui ne soit pas emmerdante. Ça n'a l'air de rien, mais la majorité des livres d'aujourd'hui vous tombent des mains. Et les miens peut-être aussi, remarque bien. On ne peut pas être à la fois juge et partie, n'est-ce pas ?
- Monsieur Cendrars !
Je suis venu au monde très jeune, vous savez.