Dieu demande autre chose de vous, ma petite fille. Il vous a fait naître dans une certaine classe sociale. Il vous a donné l’intelligence, et, j’en suis sûre, le cœur, bien que vous cherchiez à l’étouffer sous la révolte et la rancune. C’est un devoir pour vous de vous prêter au développement de ces dons par ceux qui ont charge de votre âme, développement qui se fera d’abord par l’enseignement religieux, par les pratiques chrétiennes, et aussi par l’instruction et une éducation bien comprises, adaptées à votre situation sociale. Dans vos yeux, Gaïta, j’ai lu que vous étiez une nature ardente, mais très droite.
Quelque chose de la sensibilité qui sommeillait en moi, et que je n’avais déversée jusqu’ici que sur quelques pauvres gens, sur des animaux, et sur des souvenirs du passé, se réveilla à cette minute. Si peu affectueuse qu’eût été ma tante, elle était quand même ma plus proche parente. Puis j’étais ici chez elle, dans la maison familiale. Enfin, il y avait l’atroce perspective d’un complet changement d’existence, de l’emprisonnement…
Je ne me souciais pas du tout de mes seize ans tout fraîchement sonnés, et il m’était fort indifférent que l’on continuât à voir en moi une enfant, ce qu’autorisaient du reste ma petite taille, des cheveux courts tombant tout juste sur la nuque, et mes jupes arrivant au-dessus de la cheville, sans parler de mes manières qui étaient, bien réellement, celles d’une petite fille aucunement éduquée.
La religion était le pivot autour duquel tout évoluait, dans cette maison… Et bien vite, l’enfant qui se savait pour ainsi dire seule au monde trouva très doux de recourir, par la prière, à Celui qui a promis de ne jamais laisser les siens orphelins, et à la Mère qu’il nous a donnée.
Le bonheur est bien problématique sur cette terre, madame, et toujours éphémère ! Nous autres, chrétiens, faisons passer avant lui le devoir.