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Originaires du même village agricole du Mali, deux amis, Manthia et Toko, confrontés à différents événements, les criquets, la sécheresse, vont être poussés à prendre des décisions importantes et à rejoindre la capitale Bamako, leur première étape. Un exode rural commun.
Manthia est issu d'une famille un peu déclassée socialement alors que Toko vient d'une famille enracinée dans la terre, une famille devenue clan et fondatrice du village, une grande famille à l'africaine avec de nombreux frères et soeurs.
À Bamako, ils pensaient pouvoir s'en sortir, mais a lieu un soulèvement populaire soudain contre le régime militaire de Moussa Traoré qui aboutit à son renversement le 26 mars 1991. Tout bascule, tout change. Pressés par la famille « d'aller en aventure ailleurs », les deux jeunes Maliens partent en France, pour Paris. Mais le cousin qui devait prétendument les accueillir dans son grand appartement est en fait hébergé lui-même dans un foyer de migrants. Sans papiers, ils vont devoir faire face et chacun le fera à sa manière...
Nous allons donc suivre l'aventure de ces deux grands hommes et demi, c'est-à-dire ces enfants qui n'en sont plus sans pour autant être encore des adultes, mais qui exposés à des difficultés qui pourraient les empêcher d'avancer, ne se lamentent pas et savent se défendre.
C'est Manthia, depuis un centre de rétention administrative, un lieu d'enfermement où sont retenus les étrangers auxquels l'administration ne reconnaît pas le droit de séjourner sur le territoire français, qui raconte leur aventure qui s'étale sur une décennie, des années 1986 jusqu'au 23 août 1996. Cette date correspond à l'évacuation de trois-cents Africains sans-papiers, réfugiés depuis près de deux mois dans l'église Saint-Bernard à Paris.
Ce qui fait toute la puissance et l'originalité du récit, c'est la manière dont Manthia nous révèle son parcours ainsi que celui de son ami. Espérant obtenir des papiers, il s'adresse à son avocat, parfois avec colère, ne comprenant pas pourquoi il se trouve enfermé là, lui qui ne voulait pas quitter son village, pas partir de Bamako, mais aussi à l'interprète dont il se sent plus proche.
Deux garçons et demi de Diadié Dembélé, avec ces personnages intenses emportés dans une aventure voulue et souhaitée pour l'un, Toko, et non choisie mais imposée pour l'autre, Manthia, se déroulant il y a trente ans, pourrait tout aussi bien se passer aujourd'hui, tant, peu de choses ont changé.
Nul doute qu'il est un roman un peu autobiographique, ne serait-ce que parce que Diadié Dembélé a travaillé en tant qu'interprète au sein d'une association d'aide aux migrants. Il est aussi un roman sur l'amitié et sur la vie rurale au Mali avec ses coutumes et le poids des traditions patriarcales, son climat et ce fameux hivernage, cette saison des pluies, ses langues dont le bambara et le soninké, la rudesse des travaux agricoles aggravée par le réchauffement climatique et bien sûr l'exode rural qui en découle.
En inscrivant une partie de son récit dans les années 1990- 1991, l'auteur nous permet également de revoir un événement marquant de l'histoire du Mali.
Mais il est avant tout une profonde réflexion sur la migration et l'espoir qu'entretiennent les jeunes africains de trouver en France, en priorité du travail, et la possibilité de se réaliser.
Évidemment sur ces besoins, ces attentes, se sont greffés et engouffrés des profiteurs comme les cokseurs (passeurs), les marchands de sommeil, les employeurs sans scrupules, prêts à tout pour s'enrichir sur la détresse, la solitude et le dos de ces migrants-aventuriers.
Outre la découverte du militantisme pour Manthia, c'est tout le mouvement des sans-papiers à Paris en 1996 que nous suivons au plus près.
La vivacité d'un langage fleuri, imagé et une écriture singulière, originale et créative, rendent ce roman un peu surprenant au début, très attrayant et très contemporain.
On aimerait tant que ce proverbe malien, en épigraphe du roman « Si l'on pouvait se balader avec une maison sur la tête, nul ne serait étranger sur cette terre » soit réalisable, pour ne plus assister à toute cette désespérance !
Je remercie les éditions JC Lattès et Babelio pour cette passionnante découverte.

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Lorsque Manthia, migrant malien arrêté parce que sans-papiers, se retrouve face au juge, il pense nécessaire de raconter son histoire depuis son enfance afin que l'on puisse mieux comprendre les raisons pour lesquelles il a quitté son petit village natal et sa famille, ainsi que les circonstances qui l'ont poussé vers la France.

C'est ainsi que nous, lecteurs, nous endossons le rôle de ce juge auquel Manthia s'adresse, épaulé d'un traducteur chargé de tout noter et retranscrire. Ainsi débute un monologue que nous écoutons avec patience, bien que parfois coupé par le traducteur. Manthia se livre, se confie, nous raconte son vécu : son enfance auprès d'un père intransigeant, les travaux de la terre, la sécheresse et les récoltes infructueuses, son départ pour Bamako, les tensions politiques qui le poussent vers la France, les désillusions, la précarité, l'illégalité, les difficultés d'intégration et la barrière de la langue, son arrestation..., sans oublier sa relation avec Toko, son ami d'enfance et compagnon de fortune. Rien est omis de son triste sort et de cette poisse qu'il croit trimballer.

De ce récit, je retiendrai avant tout la puissance des mots de Diadé Dembélé, de celle qui laisse des marques. S'il y a parfois des erreurs de syntaxe (les "malgré que" me font systématiquement grincer des dents), l'histoire de Manthia ne peut nous laisser indifférents, parce qu'il se livre entièrement et que ses moindres ressentis sont dépeints de telle manière qu'on ne fait pas que l'accompagner dans ses souvenirs, souvenirs qu'il nous conte comme s'il les revivait une seconde fois.

Alors oui, c'est fort, parce que l'auteur sait user de bons mots et d'envolées poétiques ou analogiques, qu'il fait parfois des digressions qui finissent par avoir leur importance ou qui nous permet de mieux cerner Manthia. Sa plume élaborée a su rendre le récit percutant. L'idée du monologue d'un homme face à son juge, qui a déjà beaucoup perdu et qui ne cherche qu'à obtenir ses papiers français alors qu'il n'a jamais voulu quitté son village natal, est plutôt originale.

Les chapitres sont très courts et j'ai lu ce roman en un rien de temps. Et c'est peut-être là mon reproche, il se lit bien trop vite : à peine commencé et déjà terminé. J'aurais aimé y rester bien plus longtemps, j'aurais aimé une fin un peu moins abrupte également et en savoir un peu plus sur le devenir de Manthia. Et pourtant, tout nous est relativement bien retransmis : la personnalité de Manthia et ses ressentis, les circonstances politiques et sociales des années 80 et 90 (aussi bien au Mali qu'en France), les différentes étapes de son exil, ses relations avec les autres (son père et Toko notamment), les traditions familiales et l'importance de la famille, les difficultés auxquelles sont confrontés les migrants.

Dans l'ensemble, ce fut un agréable moment de lecture, et pour cela j'en remercie Alexandrine de Babelio et les éditions JC Lattès pour m'avoir permis de découvrir cet ouvrage dans le cadre d'une masse critique privilégiée.
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Manthia, tente tant bien que mal de cultiver les terres de son père, un ancien commerçant ruiné. Mais la sécheresse et la famine guettent. Pour subvenir aux besoins de la famille, Manthia est contraint de quitter son village pour devenir ouvrier chez son oncle, un commerçant de Bamako. Il y est rejoint par son ami Toko.
Quand l'armée et le peuple maliens se soulèvent contre le pouvoir en place, Manthia et Toko décident de partir pour la France.

Nous écoutons cette histoire par la bouche de Manthia qui, ne parlant pas suffisamment bien le français, la raconte à un traducteur, dans un centre de rétention administrative de sans papier, des années plus tard. Une histoire faite de soumission, à une tradition familiale, à un ordre établi, puis de rébellion, et enfin de défaite, où l'on sent que Manthia ne va pas tarder à revenir à la case Départ...
Au-delà de l'intrigue, somme-toute assez prévisible, ce sont les personnages qui comptent. Manthia en premier, qui vit toute les violences des traditions qui ne permettent pas à un jeune homme de devenir véritablement un homme ; trop soumis au père et aux oncles. Toko également, qui fut plus téméraire, mais qui se coule plus facilement dans la peau du migrant docile. Et tous ceux qui les entourent, les exploitant ou cherchant, sans y parvenir, à les comprendre.
L'écriture est intéressante, inhabituelle ; à le fois celle d'un lettré, et d'un griot. Un mélange étonnant. La narration est à la première personne, c'est Manthia qui raconte. Mais il semble souvent vouloir éloigner le "je", prendre de la distance. le lecteur se laisse embarquer dans les aventures de ces migrants, mais la lecture n'est pas toujours des plus faciles.

Un livre qui m'a ému car il m'a rappelé un travail de recueil de mémoire de migrants auquel j'ai participé il y a moins de deux ans avec une association. Toutes leurs histoires sont différentes, mais elles sont toutes bâties sur la souffrance...


Lien : http://michelgiraud.fr/2024/..
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Encore une fois ,merci à toute l'équipe de Babelio pour l'envoi de ce livre dans le cadre d'une Masse Critique privilégiée et merci aussi à Diadé Dembélé et aux éditions JC Lattes .
Roman , récit de vie , reportage , autobiographie ? Un peu de tout cela , sans doute rassemblé par un jeune malien , Manthia ,dans un récit fait à son avocat via son interprète , dans un centre de rétention administrative .
La première des choses un peu fastidieuses fut de parcourir les premières pages pour comprendre l'importance de l'oralité dans une civilisation riche de superstitions , d'histoires , de légendes mais , bien vite on revient à une certaine normalité lorsque les codes ont été bien exposés . La lecture est donc aisée .
D'abord un petit village , années 90 , au Mali , une vie rurale faite de labeur mais aussi de pesantes traditions patriarcales , de mariages imposés , de polygamie , de toute puissance voire violence paternelle , de régles claniques et ...d'amitié .
Ensuite , échapper à la misère en gagnant , à grands frais , la grande ville de Bamako bien vite gangrénée par les luttes de pouvoir et les risques ethniques ...
Reste l'espoir suprême , la France pleine de promesses où d'autres membres de la famille ont " déjà réussi " et " attendent " les cousins pour les " aider " à tracer un chemin parsemé de pierres précieuses .
Voilà la teneur de ce roman bouleversant , déroutant qui se terminera par un cri , sans apporter de solution ou de discours vraiment moralisateur .Une description riche d'un chemin qui pourrait sans doute être qualifié de " chemin de croix " , prix à payer pour vivre dans un monde meilleur .
Cet ouvrage a la particularité de bien mettre en exergue les us et coutumes , les traditions , les expressions de la ( ou les ) cultures africaines et présente leur choc avec les cultures européennes mais aussi, et peut être surtout , tous les obstacles et adversités venus de tous horizons ( vive les oncles ...) pour contrecarrer des projets dont chacun et chacune aura la liberté d'apprécier ou non la légitimité .
C'est un récit puissant , honnête , sincère , intellectuel aussi , sur les migrants et leurs difficultés rencontrées pour échapper au statut de " sans papiers ".Ecrit par un brillant écrivain malien , ancien interprète dans une association d'aide aux migrants , il se veut surtout informatif et plein de sensibilité , à mon avis , sans toutefois être " neutre " , vous vous en doutez .
Allez les amis et amies , le sujet est vaste , complexe , pas forcément trés humain .
A trés bientôt pour " le cirque du diable " , un roman qui n'a rien , mais vraiment rien à voir !!

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Parler, se raconter « comme si le centre du monde était dans sa bouche », faire de sa vie d'exil depuis un village malien des années quatre-vingts jusqu'à Paris en passant par Bamako, un torrent de mots sans interruption pour « toucher à un os de la parole ». Manthia déverse les souvenirs de sa vie à son avocat du centre de rétention, dans un langage imagé et fleuri à la sauce traditionnelle malienne, empreint de l'histoire d'un pays traversé par la famine, contraint par les obligations familiales tendance patriarcales ou par « le grand rouleau compresseur de la lutte des classes ». Mais le récit se fera aussi celui d'une amitié entre lui et Toko son ami jumeau, son « ami coucher-lever », qui malgré ses origines nuancées de notabilité parce que sa famille est enracinée dans la terre contrairement à la sienne déchue du commerce, nouera le destin des deux en un fil de souffrances communes.
Un beau roman à l'ancrage historique, emporté par une oralité féconde, dans une forme d'altercation à son avocat qui m'a rappelé le juge de « Article 373 du code pénal » de Tanguy Viel.

Merci à Babélio et aux Éditions JC Lattès pour l'envoi de ce roman !
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Je vous avais parlé, lors de sa sortie en 2022, du premier livre de Diadié Dembélé intitulé le Duel des grands-mères. Un roman d'apprentissage remarquable, couronné par le Prix littéraire de la Vocation. Autant dire tout de suite que Deux grands hommes et demi confirme largement le talent entrevu à travers l'histoire du petit Hamet, un écolier de Bamako en quête de ses origines. Finie l'enfance, place à deux amis, Manthia et Toko, deux grands hommes de dix huit ans, ou plus précisément, deux hommes et demi, cette part d'âme supplémentaire qu'on va trouver tout au long du récit.

La forme est totalement réussie, dans une fluidité qui m'avait manqué dans le premier livre, m'obligeant à reprendre la lecture de certaines pages plusieurs fois. Rien de tel ici, la construction est solide avec une immersion directe dans le discours et une progression continue vers des éclaircissements jusqu'à la fin. Manthia raconte en commençant souvent par « Monsieur... », signe de déférence ou d'agacement lorsqu'il s'adresse à son avocat par l'intermédiaire d'un interprète, aussi au lecteur qui se sent directement interpellé.

La vie au village, rythmé par le travail aux champs, et les circonstances amenant la famille à pousser les enfants au départ occupe une bonne moitié du récit. Terrible beauté sombre de l'arrivée des criquets, annonçant l'absence de récolte et la disette prochaine : « … comme un morceau de nuage noir qui se détache, jeté par les anges, en tombant lentement sur la terre ». Manthia doit accepter le diktat de son père. Départ pour Bamako, puis vol vers la France après l'obtention des visas avec l'aide de mystérieux relais locaux, ces cokseurs « ...expert en bombardement de consulat qui jette des explosifs diplomatiques sur n'importe quelle ambassade européenne, en échange de quelques billets. »

La langue, ses déclinaisons sont au coeur du livre, de la « langue lourde » africaine jusqu'à l'écriture érigée en étape obligatoire, preuve ultime en Europe, même si elle repose sur une retranscription incertaine voire mensongère. Manthia prend des cours de français avec Caro, pages magnifiques de la joie d'apprendre, se transformant en joie de vie après la rencontre avec Clémence, une amie de Caro… Joie des corps, joie de la découverte de la liberté, de la mer, même si la réalité du passé ne s'efface pas durablement.

Dans la première partie, au Mali, tout passe par le langage, tous les sentiments : amour, peur, ressentiment, colère, alors que Manthia exilé se confronte à une société organisée autour de l'écrit.

Les deux amis vont connaître la dure réalité des exilés clandestins, faite d'accueil non désintéressé par le cousin de la famille, le colérique et calculateur Samba, faite de sommeil dans les couloirs du foyer, de l'absence de repas quelquefois. Toko vient d'une famille de notables, d'une famille devenue clan au fil des générations. Celui-ci obtient sa carte de séjour alors que Manthia est arrêté en situation irrégulière et placé en centre de rétention.

Rencontre de la forme et du fond, l'auteur ajoute une nouvelle pièce à une oeuvre en construction qui permet de suivre le parcours, de mettre des visages sur ceux qu'on prétend classer dans des groupes étiquetés négativement et déshumanisés. Ce ne serait plus des hommes, seulement un problème... Après avoir côtoyé Manthia et Toko, il y a simplement des hommes qui font ce qu'ils peuvent pour leur vie et pour leur famille. Et le demi du titre ? Un titre malin, plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. Peut-être la somme des âmes, du langage et de l'écriture ?

Roman profond maniant la poésie et l'humour, Deux grands hommes et demi réussit à décrire une réalité au carrefour des routes, dans les méandres de l'oralité et de l'écriture. le deuxième roman de Diadié Dembélé trouve une distance rassurante entre littérature et message universel de dignité. On peut être certain qu'il ne va pas s'arrêter là.
******
Chronique complète sur blog, avec photo et illustration sonore : "Diarabi Muso", par le Super Biton de Segou, un groupe malien mythique qui a accompagné pendant cinq décennies l'histoire du Mali. Une réédition vient de paraître, célébrant une richesse sonore déclinée en rumba congolaise, rythmes bambara, mandingues, afrobeat, jazz...
Lien : https://clesbibliofeel.blog/..
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Manthia et Toko vivent dans le même village du Mali.
La famille de Manthia a perdu de sa superbe et son père "tente de reconstruire une routine dans son existence ababouinée". Père dont on ne discute pas les ordres !
Manthia s'épuise aux travaux des champs, son père ne cesse de l'humilier. Toko son ami l'aide à bêcher, creuser, labourer.
Pour ses vingt ans le moment est venu de le marier parce que "sa mère mérite de se reposer, pieds joints devant le hangar, en observant sa future belle fille à la tâche" et peu importe si Manthia en aime une autre.
Les récoltes de cette année-là s'annoncent "maigres comme l'aumône d'un avare". Manthia est donc prié de partir pour Bamako. Il fait ses bagages et part ."Il salue son père, les oiseaux lui répondent, lui ne répond pas".
L' oncle qui le reçoit," envoie des vivres au village", pas question de salaire pour Manthia.
Son ami Toko le rejoint.
En 1991 des troubles politiques et la faillite du pays les poussent à partir. Gabon? Congo? Ils choisissent la France. Samba, un cousin y travaille...
Après un voyage long et angoissant ils arrivent à Belleville, le quartier des noirs à Paris. Commence alors le parcours des sans papiers. Les chambres surpeuplées et insalubres. le cousin leur trouve de petits boulots dont il garde les salaires !
Toute cette histoire , Manthia la raconte à son avocat qui devrait peut-être défendre sa cause.
Il a besoin de cet intermédiaire parce que " son français est fracassé, mutilé, estropié, son bas tordu, son haut penché. Sa langue, qui se bat, se débat, que l'on bat, qui est tout bas, ne sait dire. Elle se colle à son palais, résidence de tout le goût des mots, qui ne sortent pas, qu'il mange à son régime de bananes. Sa langue hésite, on lui marche dessus. Elle a mal, elle se tortille de douleur, se cache derrière les lèvres, d'autres disent, et finalement , il est muet comme le "e"de Sophie ".
Sa cause ? La cause d'un sans papier: "Comment se fait le tri à la préfecture ? Qui décide de quoi? Ce sont des questions qui méritent d'être posées à un moment "
L'histoire et les personnages m'ont tenue éveillée une bonne partie de la nuit.
Ce roman traduit parfaitement le poids de l'histoire coloniale qui induit encore un grand sentiment d'infériorité chez ces jeunes à la peau noire
Le style est magnifique, il fait ressortir la culture, les traditions, les couleurs de l'Afrique.
Merci aux éditions JC Lattès et à Babelio de m'avoir envoyé ce livre. (Masse critique privilégiée)
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Manthia est malien. Aujourd'hui il est en France, devant un traducteur. Il a été arrêté car il n'a pas de papiers. Il raconte enfin son histoire, son exil, ses joies et ses conflits, intérieurs ou avec son ami-jumeau, son ami sérieux-sérieux Toko. Tous deux ont connu l'exil, d'abord en partant de leur village, obligés d'aller gagner leur vie (et celles de leur famille reste au village) à Bamako. Les mauvaises récoltes, les sécheresses et les attaques de criquets ne leur permettaient plus de vivre.
Mais cette fois, c'est la révolution, les troubles politiques de 1991 et le coup d'état qui ruine leur patron qui les employait.
Cette fois, ils décident de partir loi, jusqu'en France, rejoindre un membre de leur famille. Il y gagne très bien sa vie, leur a-t-il assuré, et pourra les loger tous les deux.
La réalité les rattrape très vite et se retrouvent à vivre dans un foyer de sans papiers, à enchainer les contrats en intérim, mais en envoyant toujours de l'argent à leur famille.
C'est un roman très touchant, triste lorsque l'on découvre le quotidien instable, précaire de Manthia, mais tellement poignant quand il parle de son village, des habitudes qu'il avait, de son amour perdu.
Le roman est en fait très pudique : Manthia ne se plaint jamais, il continue courageusement à aller de l'avant et semble éternellement confiant pour l'avenir, même quand il parle à ce traducteur ... alors que nous lecteurs on anticipe la pire des fins.
Ce fut vraiment une très belle lecture, totalement dépaysante : l'auteur a un rythme parfait, les mots sont chantants et grâce aux emprunts des tournures et expressions, ils nous font voyager jusqu'au Mali.
Merci à Babelio et aux éditions JC Lattès
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Dans un centre de rétention à Paris, un homme malien, Manthia, s'adresse à un interprète et explique tout le cheminement qui l'a conduit dans une situation qui lui échappe. Sans-papier, il a été arrêté lors du mouvement des migrants de l'été 1996, évacué de l'église Saint-Bernard où s'étaient réfugiés ces hommes et ces femmes pour faire entendre leurs voix.
Pour expliquer ce qui l'a conduit dans cette situation, il revient sur sa jeunesse au Mali.
L'histoire commence dans les années 1980, dans un petit village de brousse.
Le jeune Manthia travaille aux champs avec son père, un homme dur qui passe son temps à l'accabler de griefs. Après que le père a fait une mauvaise chute, Manthia subit davantage encore les brimades de son père aigri et diminué, mais résigné, il fait le travail. Pas le choix, il faut nourrir la famille.
À bientôt 20 ans, il est marié à sa jeune cousine Koudjedji. Par la voix de son personnage Manthia, l'auteur nous fait entendre le poids des traditions ancestrales.
La nature hostile, les mauvaises récoltes poussent les hommes à quitter le village pour un exil rempli d'espoir. En mars 1991, encouragé par son oncle Abdoulaye, Manthia et son ami Toko décident de prendre la route pour la France, "pays où l'on gagne rapidement de l'argent". Ah Paris ! Ils en ont tellement rêvé... mais à l'arrivée, la réalité les rattrape : ils vont loger dans un foyer à Saint-Denis, "le Paris des Africains".
Le roman est un vibrant hommage à ces hommes qui ont connu la sécheresse au Sahel et, en raison du changement climatique et de la situation politique du Mali, ont dû migrer avec l'espoir d'une vie meilleure en France. Par la voix de Manthia, Diadé Dembélé retranscrit parfaitement l'oralité africaine, ses circonvolutions imagées pour expliquer la situation de Manthia et Toko, immigrés clandestins en attente de régularisation. Les dernières pages sont émouvantes, j'ai vraiment apprécié l'écriture de Diadié Dembélé, auteur malien dont je vais m'empresser de découvrir le premier roman, le Duel des grands-mères, prix de la vocation 2022.
Je remercie vivement les éditions JC Lattès et Babelio pour l'envoi de ce roman que j'ai reçu dans le cadre d'une Masse critique privilégiée.
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Un livre déroutant par sa présentation mais qui propose un témoignage poignant !
J'ai lu(mais plutôt écouté!) le parcours d'un migrant, une sorte de confession qu'il livre pour essayer de régulariser sa situation . Il expose avec beaucoup de réalisme les raisons de son exil et bien que les faits soient actuels, je ne peux m'empêcher de m'insurger face à certains pratiques : l'autorité paternelle, la superstition, les clans, la présence quasi continuelle de la violence physique et mentale, la pression psychologique, les relations familiales...

Manthia n'a plus rien à perdre et tout à gagner. Et cela se perçoit dans son discours. Un discours oral et j'ai eu l'impression que le texte était simplement transcrit tel quel car il est vivant, dynamique et il fait ressentir la pression, le désespoir, la colère, l'injustice. J'ai parfois regretté une sorte de lourdeur, certaines phrases sont longues, alambiquées et j'ai eu tendance à en perdre le fil. Son discours est aussi très imagé, il y a beaucoup d'expressions typées que j'ai trouvées tendres, poétiques mais parfois cruelles et dramatiques.

Le quotidien de Manthia est fait de peurs, de fuites, de fragilité, de solitude, de chantage affectif, d'exploitation i Beaucoup de charges mentales pour ce tout jeune homme qui, à plusieurs reprises est exploité, trompé, volé ! Heureusement, son amitié avec Toko qui lui permet d'avancer et d'accepter.

Un livre qui ne laisse pas indifférent, qui laissera des traces et qui, par sa présentation, non seulement interpelle le lecteur mais le place dans le rôle d'un juge, le met face à des responsabilités et c'est assez perturbant!

Coup de coeur pour la photo de la couverture , splendide , qui illustre un moment symbolique entre les deux amis : un moment chargé d'émotions et d'illusions !

Un tout grand merci à la masse critique de Babelio et aux Editions JCLattès pour m'avoir proposé cette lecture !
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