Remontons de plus loin. La spectacularité induite par la marchandisation de tout n'est ni un mode de consommation (comme par exemple l'attrait quasi-automatique pour les nouveautés marchandes), ni un mode de communication (comme par exemple l'adoption par des masses de postures publicitaires ou médiatiques à la mode) ; ce sont là des aspects superficiels du spectaculaire. de même
la société du spectacle n'est pas une expression transitoire de la domination capitaliste mondiale (l'écrasement et la substitution de l'authenticité de la réalité par la valeur de l'argent), ni suspendue à ses déterminations économiques (qui ne sont que la saisie idéologique dominante de la crise de l'humanité) :
la société du spectacle est l'illusion ayant massivement détrôné la réalité, et luttant pour faire de la réalité une illusion parmi d'autres ; la spectacularité est l'illusion devenue réellement le mode d'être fondamental dictant et formatant la quasi-totalité des comportements visibles de masses entières sur toute la planète.
« le spectacle s'est mélangé à toute réalité, en l'irradiant » note
Guy Debord.
Cette irradiation affecte bien évidemment la réalité ; elle la rend malade, et les masses humaines ont avant tout mal à la réalité ; mais c'est par définition un mal secret, un mal qu'on ne parvient pas à se représenter : une alexithymie (incapacité à nommer sa souffrance) universelle.
L'ensemble des maux qui s'abattent sur la planète et les humains sont tous sans exception affectés d'un surpuissant coefficient d'irréalité ; ils sont immédiatement saisis selon les catégories du spectacle : ils se présentent immédiatement éloignés dans une représentation où leur unité ne peut jamais être rétablie dans sa vérité et sa totalité ; parce que la représentation est tout entière entre les mains du spectacle, qu'il s'agisse de représentation politique, médiatique, économique, écologique, sociologique, scientifique.
La représentation n'a plus pour fonction d'être adéquate à la réalité, pour en produire la vérité, mais seulement d'être adéquate à elle-même ; telle est la circularité dans laquelle les masses humaines sont convoquées, à titre de figurants.
C'est ainsi par exemple que quand un virus la ramène – ramène la réalité -, il est aussitôt saisi selon les catégories du spectacle : sa réalité, c'est sa spectacularité, dont la mise en scène sera spontanément puis savamment orchestrée selon les intérêts politiques et financiers dominants.
Ce que leur rapporte un tel virus, qui en soi ne serait vraiment pas grand-chose s'il ne s'invitait pas royalement à la table des multiples pathologies induites par la société falsifiée, c'est, outre des milliards de dollars, une mainmise inédite sur les représentations planétaires qui affectent – au sens pathologique - les masses ; et une capacité inégalée de ces représentations à redéfinir avec autorité les comportements de ces masses.