God's Pocket, c'est un quartier ouvrier de Philadelphie, Pennsylvanie où gravite toute une population hétéroclite : des petites crapules sans envergure mais néanmoins à la solde de mafieux plus sinistres, des paumés, des travailleurs sans espoirs, des combinards plus ou moins chanceux, les prolos, les accros aux courses, des pieds nickelés fatalistes et malheureux.
Ce quartier, c'est comme une petite ville dans la grande. Il y a le café « du coin », le « Hollywood » qui fait tout sauf rêver. La brave marchande de fleurs « du coin » qu'il ne fait pas bon pousser trop dans les orties et même Jack le croque-mort pervers « du coin ». Toute une communauté bigarrée où tous se connaissent mais ne s'aiment pas forcément.
Ce quartier existe vraiment à Philadelphie avec un nom un peu différent : « Devil 's Pocket » – juste le contraire donc du titre du bouquin, quel clin d'oeil à la réalité ! le nom viendrait d'une expression qui dit que « les enfants du quartier – des petites frappes - seraient capables de voler une chaine dans la poche du diable en arrivant en enfer », traduction approximative de « they'd steal a chain from the devil's pocket when they reached hell ». Seraient-ils capables de voler dans la poche de Dieu aussi ?
On parle de quartier pauvre et déshérité, quartier où se côtoient toute sorte de misère sociale, d'un camionneur qui ne fait visiblement pas parti du fameux « syndicat », d'une femme qui rêve d'évasion et d'avenir meilleur, du truand local surnommé « Bird » qui perd les pédales (ça aussi c'est drôle !) quand le haut du panier de la pègre décide de lui faire un sort. Exit le caïd.
L'histoire ? Léon, un gars un peu trop rapide avec sa lame, un poil trop nerveux et parano se retrouve refroidi par un ouvrier du chantier de construction sur lequel il bosse (avec une nouvelle qualification de « maçon » acquise dans une pochette surprise… allez savoir) pourtant difficile à énerver. Sa mère à qui on ne la raconte pas, ne croit pas une seconde à la version officielle de l'accident malheureux. Son mari, Mickey, brave mec très maladroit et toujours ahuri qu'une si belle femme puisse l'avoir choisi pour mari et qui tremble chaque minute de la perdre, va être chargé (parce que c'est lui qui raque tout bêtement) d'orchestrer un enterrement parfait. Tout le quartier sera là, pas question de faire un loupé.
Ce chauffeur de poids lourds arrondi ses fins de mois difficiles en prélevant quelques beaux quartiers de viandes froides qu'il revend à des acheteurs de barbaque pas très regardant sur la provenance. Évidemment, Mickey n'est pas le « cerveau », il n'est qu'un des maillons de la chaine qui alimente les petits et les grands mafieux. C'est surtout le roi des combines foireuses.
Puis il y a un journaliste sur le retour, un peu paumé, très alcoolo se retrouve à devoir chroniquer ce fait divers. Shelburn (c'est son nom) se rend sur place, en quête d'éléments un tant soit peu intéressants pour son article. Il met le doigt sur un os… Paré malgré tout de toutes les qualités puisqu' étranger au quartier. L'étranger est forcément fascinant, vaguement exotique, il cristallise tous les fantasmes. Mais c'est aussi celui qui dérange. Celui qui divise, qu'on envie, qu'on admire éventuellement mais aussi celui qui rassemble finalement le quartier de façon inattendue en stimulant leur communautarisme. D'aucun se découvrent solidaires sur un malentendu.
Le roman est parsemé de situations burlesques et cocasses, glauques et invraisemblables (j'aimerai d'ailleurs voir ce que donne la version cinématographique) qui m'ont fait… mourir de rire ! Juste pour exemple, je citerai l'épisode sordide mais désopilant : celui où Léon « la lame » se retrouve entreposé dans le camion de Mickey au milieu d'une cargaison de barbaque toutes aussi froide que lui. Une situation digne des frères Coen !
Ici les emmerdes volent en escadrille pour reprendre une expression célèbre chez nous, c'est le cas Léon en premier lieu, pour Mickey, pauvre bougre sur lequel tombent tous les malheurs du monde, pour Joannie qui est prête à n'importe quoi pour trouver un salut illusoire, pour « Bird » le truand guignard, pour smilin' Jack qui attend sa prochaine arrestation avec résignation, pour McKenna le chef de chantier qui a couvert son ouvrier, pour Shelburn n'en fini pas de courir après son passé, pour tous ces laissés pour compte de la vie.
Il n'y a pas vraiment d'enquête, puisqu'on connait dès le début le coupable. C'est le prétexte à satire sociale d'une banlieue déshéritée des States. Juste un type malchanceux, chroniqueur célèbre sur le déclin qui s'amourache de la plus belle femme du quartier et qu'il décide de magnifier faute de coupable dans un dernier article flamboyant de lucidité le fameux quartier de
God's Pocket.
C'est beau comme la « mort du Cygne » du fameux ballet d'
Anna Pavlova. C'est le chant des sirènes des pauvres bougres piégés dans leur propre histoire. C'est beau mais c'est écrit avec beaucoup d'humour. du coup, ça donne un peu de légèreté à ce qui aurait pu n'être qu'une longue liste de naufrages. Ça aurait pu sombrer dans le mélo et le pathos le plus total. Au lieu de ça, c'est un étonnant roman noir, drôlement cynique digne des
Ellroy,
Lehane, Chandler, Goodis et bien d'autres…
En bref: j'ai a-do-ré!