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Citations sur Lettres à Sophie Volland (73)

Au Grandval, le 20 octobre 1759.

Vous vous portez bien, vous pensez à moi, vous m’aimez, vous m’aimerez toujours. Je vous crois ; me voilà tranquille, je renais ; je puis jouer, me promener, causer, travailler, être tout ce qui vous plaira. Ils ont dû me trouver, ces deux ou trois derniers jours, bien maussade. Non, mon amie, votre présence même n’aurait pas fait sur moi plus d’impression que votre première lettre. Avec quelle impatience je l’attendais ! Je suis sûr qu’en la recevant mes mains tremblaient, mon visage se décomposait, ma voix s’altérait ; et que si celui qui me l’a remise n’est pas un imbécile, il aura dit : Voilà un homme qui reçoit des nouvelles ou de son père, ou de sa mère, ou de celle qu’il aime. Au même moment je venais de faire partir un billet où vous aurez vu toute mon inquiétude. Tandis que vous vous amusiez, vous ne saviez pas tout ce que mon âme souffrait.

On nous dit ici que Mlle Arnould était une Colette d’opéra maniérée, et d’une naïveté point du tout naïve[1]. Cet on n’est pas toutefois un homme d’un goût bien difficile. Je prétends, par exemple, que quand le devin leur dit :


La bergère un peu coquette
Rend le berger plus constant,


il ne faudrait pas qu’elle se rengorgeât, qu’elle portât la main à sa coiffure, ni qu’elle rajustât son jupon. Pour moi je ne sais qu’en penser, cela peut être bien, cela peut être mal. C’est selon la figure, les circonstances, ce qui a précédé le ton, le caractère du jeu dans les choses les plus légères, ainsi que dans les plus importantes. Il n’y a rien de bien que ce qui est un. Pourquoi ces gentillesses de conversation, qu’on a entendues avec tant de plaisir, s’émoussent-elles quand on les rend ? C’est qu’on les présente isolées, c’est que l’intérêt du moment et de l’à-propos n’y est plus. Je sais bon gré à M. de Prisye de vous cultiver ; vous lui parlez de moi quelquefois sans doute.

Si vous faites des médiateurs où vous gagnez beaucoup de fiches et peu d’argent, en revanche, je fais des piquets où je perds beaucoup d’argent et peu de fiches ; ce sont les marqués qui me ruinent ; ils ont des écarts pusillanimes. Moi, je songe à faire beaucoup de mal ; eux à s’en garantir.
Je l’ai vu ce papier de Genève[2], vous le verrez aussi et vous direz, comme moi, qu’il a le diable au corps, et qu’il vaut mieux le supprimer que de s’exposer au soupçon de l’avoir fait ou publié. L’auteur n’est pas un homme assez sûr. Les autres ont payé cent fois pour ses folies ; pourquoi cela n’arriverait-il pas encore une ? Qui est-ce qui peut se promettre de la discrétion de celui qui ne s’est jamais tu, et qui ne risque rien à parler ? Où est la précaution qui ne puisse tromper ? J’ai appris à me méfier des hasards ; il y en a de si bizarres. Par exemple, je vous prédis (puissé-je être un prophète menteur), que ce commerce de lettres perdra votre sœur ; je ne sais ni quand ni comment cela se fera ; mais le temps amène tout ce qui est possible. Les choses se combinent de tant de façons que l’événement fâcheux a lieu tôt ou tard. Encore si elle aimait ! si cette consolation lui était aussi essentielle qu’à nous ! si elle avait un engagement de cœur ! s’il s’agissait d’adoucir les ennuis de deux amants séparés, d’épancher dans un cœur la tendresse dont on est rempli ! mais il n’y a aucun de ces si. En vérité, il y a peu de prudence d’un côté et nulle délicatesse de l’autre ; vous ne serez quitte ni envers elle ni envers vous-même, si vous ne la prêchez pas fortement là-dessus, et si ce maudit paquet, qui court après elle, vient à rencontrer son mari. Voyez cependant ; rassurez-vous. Les pièges que le sort nous tend sont plus fins, le mal qu’il nous réserve est moins attendu. La circonstance que je crains, c’est celle où elle croira avoir tout prévu, et où elle dormira paisiblement sur ces précautions.

Je ne connais pas Mme de Néeps ; mais j’ai vu quelquefois son mari, qui est homme de sens et qui a la réputation d’un homme de bien.

Cela est singulier ; entre les raisons que j’imaginais de votre silence, l’indisposition de votre baron m’est venue..... Il a résolu de mourir à votre insu. Pardonnez-lui cette nuit d’alarmes ; mais craignez qu’il nous donne quelque jour un fâcheux réveil.

Il est impossible d’être sobre ici ; il n’y faut pas penser. J’arrondis comme une boule ; je continue à profiter ; vous ne pourrez plus m’embrasser. Votre sœur ne me reconnaîtra plus, et… j’allais ajouter la une bonne folie que je vous laisse à deviner.....

Adieu, mon amie. Il y a sûrement une de vos lettres à Charenton ; demain on me l’apportera, ou on ira la chercher d’ici.

Notre vie est toujours la même. On travaille, on mange, on digère si l’on peut, on se chauffe, on se promène, on cause, on joue, on soupe, on écrit à son amie, on se couche, on dort, on se lève, et l’on recommence le lendemain.

Notre causerie a été fort chaude et fort variée aujourd’hui, M. d’Holbach soutient qu’il ne faut jamais plaisanter au jeu ; qu’en pensez-vous ? Autre paradoxe : qu’on ne corrige les hommes de rien. Je vois à cela deux choses : l’une, qu’il se fâche aisément quand il perd, et qu’il voudrait bien s’excuser le peu de succès de l’éducation de ses enfants..... Je les ai laissés sur une bonne folie. Ils en ont pour jusqu’à minuit, s’ils le veulent. J’ai dit : Veut-on semer une graine ; on défriche, on laboure, on herse. Veut-on planter un arbre ; on choisit le temps, la saison ; on ouvre la terre, on la prépare ; il y a des soins que l’on prend. Quelle est la fleur qui n’en exige pas ? Il n’y a que l’homme qu’on produise sans préparation. On ne regarde ni à sa santé ni à celle de la mère ; on a l’estomac chargé d’aliments, la tête échauffée de vin ; on est épuisé de fatigue ; on est embarrassé d’affaires, abattu de chagrins. L’Écossais a dit : « Quand on cherche à les faire sains, on les fait sots. »

Cela est aussi vrai que quand le père et la mère sont innocents tous les deux, on les fait fous. Sans plaisanter, c’est un ouvrage assez important pour y procéder avec quelque circonspection.

Il a fait une après-dinée charmante. Nos jardins étaient couverts d’ouvriers et vivants. J’ai été voir planter des buis, tracer des plates-bandes, fermer des boulingrins. J’aime à causer avec le paysan ; j’en apprends toujours quelque chose. Ces toiles qui couvrent en un instant cent arpents de terre sont filées par de petites araignées dont la terre fourmille : elles ne travaillent que dans cette saison et que certains jours.

À gauche de la maison, nous avons un petit bois qui la défend du vent du nord ; il est coupé par un ruisseau qui coule naturellement à travers des branches d’arbres rompues, à travers des ronces, des joncs, de la mousse, des cailloux. Le coup d’œil en tout à fait pittoresque et sauvage. C’est là qu’on allait chercher, il y a deux mois, le frais contre les chaleurs brûlantes de la saison. Il n’y a plus moyen d’en approcher ; il faut tourner autour et prendre le soleil.

Nous avons été à Amboile[3] : nous avons vu la folie d’un homme à qui il en coûte cent mille écus pour augmenter son château de douze pieds, et nous avons ri. Ce château, avec les eaux qui l’entourent et les coteaux qui le dominent, a l’air d’un flacon dans un seau de glace.....

Vous êtes bien hardie de lire deux pages d’une de mes lettres à votre mère ; mais cela vous a réussi. À la bonne heure pour cette fois, ma mie ; croyez-moi, n’y revenez plus..... Je viens de recevoir votre lettre qui finit par ces mots : « Mercredi, à onze heures. Bonsoir, mon tendre ami ; je dors plus d’à moitié, et je ne vous en aime pas moins. » Je me trompe : c’est, mon amie, que je les ai toutes sous les yeux. La dernière est de jeudi, à minuit. Dieu veuille que vous n’en ayez point écrit depuis. M. Hudet m’a fait dire que la première qui lui viendrait sous enveloppe serait renvoyée à Paris. Je me hâte de vous prévenir, adressez dans la suite : À M. Hudet, pour remettre à M. Diderot ; ou bien envoyez chez le Baron, ou chez M. d’Aine, maître des requêtes, rue de l’Université, avec mon adresse au Grandval ; mais le plus sûr est M. Hudet, pourvu qu’il n’y ait point d’enveloppe : l’enveloppe fait perdre le port au fermier et le bénéfice au directeur. Si ce n’est pas leur compte, ce n’est pas mon intention.

Vos conjectures sur Villeneuve et d’Alembert ne sont pas tout à fait sans fondement. Me voilà hors d’un grand souci. Le paquet errant est arrivé à sa destination ; j’y répondrai, au reste, quand j’en aurai le temps et l’espace ; je ne saurais m’empêcher de vous dire que la fin celui-ci est de la plus grande beauté. J’en suis touché jusqu’aux larmes. Je coucherai aussi sur cette urne. Adieu, ma tendre, ma respectable amie ; je vous aime avec la passion la plus sincère et la plus forte. Je voudrais vous aimer encore davantage, mais je ne saurais.


Sophie Arnould, qui n’était à l’Opéra que depuis le 15 décembre 1757, venait de prendre le rôle de Colette du Devin de village.
Allusion probable à Candide qui venait de paraître.
Amboile ou Ormesson, château situé à côte du Grandval et appartenant alors à la famille d’Ormesson.
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Au Grandval, le 18 octobre 1759.

Il n’y a sorte d’imaginations fâcheuses qui ne me viennent. Seriez-vous indisposée au point de ne pouvoir tenir une plume ? La Touche est-il mort ou bien malade ? Votre mère vous a-t-elle défendu de m’écrire ? Êtes-vous à Paris ? Êtes-vous en province ? Quelque accident survenu à Mme Le Gendre ne vous aurait-il point appelée auprès d’elle ? N’auriez-vous point envoyé vos lettres chez Grimm ? Ne serait-il pas à Épinay ? Ces lettres ne seraient-elles point retournées à Charenton, à Paris ? Le ciel se fond en eau. Il n’y a pas moyen de s’éclaircir soi-même, ni par un autre. Si le Baron était un homme à qui l’on pût s’ouvrir, on aurait une voiture avec des chevaux et l’on irait à Charenton, peut-être même à Paris. Je vous ai écrit deux fois par la poste à l’adresse de M. La Touche, une troisième fois à votre adresse par un exprès, une quatrième aujourd’hui par un commissionnaire. Voilà ma cinquième lettre ; mais que m’importe qu’elle vous parvienne ou non, si elle ne doit point avoir de réponse ? Je n’entends non plus parler de Grimm que de vous. Je crois que demain je vous haïrai, et je vous oublierai tous les deux : je vous accorde encore vingt-quatre heures pour vous amender. Il nous est venu aujourd’hui, de Sussy, la compagnie la plus brillante. Il n’a tenu qu’à vous que je fusse charmant. On nous a présenté une Anglaise vraiment anglaise : de grands yeux, un visage ovale, une petite bouche, de belles dents, la taille la plus menue ; mais cela est bien raide, bien empesé, bien sérieux. Les hommes jouent au billard, les femmes sont autour de la table verte, et moi je ne sais que faire. Sortir ? On ne mettrait pas un chien à la porte. Lire ? je ne m’entendrais pas. Causer ? je ne saurais m’y résoudre. Travailler ? je l’ai essayé inutilement. Je veux lire de vos lettres ; mais il ne m’en viendra point ; je me le dis ; j’en suis convaincu. Avec cela, j’en attends toujours ; non, je n’en attends plus. Vous me faites passer de cruels moments. Celle-ci vous parviendra par un ami de la maison, il vous l’enverra. Je vais le charger de prendre votre réponse. Je lui écris pour cela ; et voici ce que je lui écris :

« Je vous prie, monsieur, de faire passer cette lettre à son adresse. J’espère qu’on y répondra. En ce cas, vous apporterez vous-même la réponse si vous venez, ou vous la joindrez aux lettres de Mme d’Aine, si votre arrivée ici se différait de plusieurs jours. »

Je le prie aussi de voir chez le directeur de la poste de Charenton. En vérité, mon amie, voici ce qui va arriver : l’impatience me prendra, un beau matin je m’habillerai, et je partirai pour Paris. Ne m’aimez-vous plus ? dites-le-moi. Vous serait-il arrivé quelque chose que vous rougiriez de m’apprendre ? Ne faudra-t-il pas que vous me l’avouiez ? Faites-le plus tôt que plus tard. Mais je suis fou ; il n’est rien de tout cela ; c’est autre chose que je n’entends pas, et qui s’éclaircira sans doute. Adieu ! le commissionnaire de Mme d’Aine attend ce billet pour partir. Puisse-t-il être plus heureux que les précédents !
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9 octobre 1759.

Je suis chez mon ami, et j’écris à celle que j’aime. Ô vous, chère femme, avez-vous vu combien vous faisiez mon bonheur ! Savez-vous enfin par quels liens je vous suis attaché ? Doutez-vous que mes sentiments ne durent aussi longtemps que ma vie ? J’étais plein de la tendresse que vous m’aviez inspirée quand j’ai paru au milieu de nos convives ; elle brillait dans mes yeux ; elle échauffait mes discours ; elle disposait de mes mouvements ; elle se montrait en tout. Je leur semblais extraordinaire, inspiré, divin. Grimm n’avait pas assez de ses yeux pour me regarder, pas assez de ses oreilles pour m’entendre ; tous étaient étonnés ; moi-même j’éprouvais une satisfaction intérieure que je ne saurais vous rendre. C’était comme un feu qui brûlait au fond de mon âme, dont ma poitrine était embrasée, qui se répandait sur eux et qui les allumait. Nous avons passé une soirée d’enthousiasme dont j’étais le foyer. Ce n’est pas sans regret qu’on se soustrait à une situation aussi douce. Cependant il le fallait ; l’heure de mon rendez-vous m’appelait : j’y suis allé. J’ai parlé à d’Alembert comme un ange. Je vous rendrai cette conversation au Grandval. Au sortir de l’allée d’Argenson, où vous n’étiez pas, je suis rentré chez Montamy, qui n’a pu s’empêcher de me dire en me quittant : « Ah ! mon cher monsieur, quel plaisir vous m’avez fait ! » Et moi, je répondais tout bas à l’homme froid que j’avais remué : Ce n’est pas moi ; c’est elle, c’est elle qui agissait en moi. À huit heures je l’ai quitté. Je suis chez lui[1] ; je l’attends, et en l’attendant je rends compte des moments doux qu’ils vous doivent et que je vous dois : mais le voilà venu. Adieu, ma Sophie, adieu, chère femme ! je brûle du désir de vous revoir, et je suis à peine éloigné de vous. Demain à neuf heures je serai chez le Baron. Ah ! si j’étais à côté de vous, combien je vous aimerais encore ! Je me meurs de passion. Adieu, adieu.
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9 octobre 1759.

La chaleur d’hier au soir est bien tombée. Je ne sens plus ce matin qu’une chose, c’est que je m’éloigne de vous. Tandis que M. de Montamy[1] et le Baron prennent des arrangements pour la distribution d’un cabinet d’histoire naturelle qui est resté enfermé dans des caisses depuis dix ans, je m’amuse à causer encore un moment avec vous. Ne trouvez-vous pas singulier que l’histoire naturelle soit la passion dominante de cet ami ? qu’il se soit pourvu à grands frais de tout ce qu’il y a de plus rare en ce genre, et que cette précieuse collection soit restée des années entières dans le fond d’une écurie, entre la paille et le fumier ? Les goûts des hommes sont passagers : ils n’ont que des jouissances d’un moment. Ah ! chère femme, quelle différence d’un homme à un autre ! mais aussi quelle différence d’une femme à une autre !

Adieu, ma tendre amie ; vous n’attendiez pas de moi ce billet, il vous en sera plus doux. Je m’en vais, et je souffre ; je ne devinais guère hier au soir mon abattement de ce matin. Que serait-ce donc, si j’allais à mille lieues ? Que serait-ce, si je vous perdais ? mais je ne vous perdrai pas ; il faut bien que je le croie, et que je me le dise pour n’être pas fou. Adieu.
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À Paris, 9 octobre 1759.

Je revenais chercher mon bouquet, un mot doux, un baiser, une caresse… et vous saviez que j’arrivais, et que c’était le jour de ma fête[1] et vous vous êtes absentée ! mais il n’a pas dépendu de vous de rester ; il a fallu suivre. La mauvaise journée que vous aurez passée ! Bonsoir, ma chère amie ; vous vous portez bien ; Clairet me l’a dit ; c’est quelque chose. Cela me fait supposer qu’on ne manque pas tout à fait d’humanité. Vous avez envoyé un billet chez Grimm. Mauvaise tête, avez-vous pu penser que j’irais jusque-là ? Qu’eussiez-vous fait à ma place ? À la vôtre, j’aurais laissé le billet sur mon secrétaire, et moi j’aurais dit en moi-même : Il y aura après-demain quinze jours qu’elle n’a vu ce qu’elle aime ; elle a souffert, elle a désiré, elle est inquiète, son premier moment sera pour moi…

Ce n’est pas lui qui m’appelle ici, ma Sophie, c’est vous ; oui, c’est vous, croyez-le. Je vous le dis, je le lui dirais à lui-même, et il n’en serait pas fâché. C’est qu’il aime aussi, lui ; c’est qu’il y avait huit mois que nous ne nous étions embrassés ; c’est qu’il était deux heures et demie quand il est arrivé, et qu’à cinq il était reparti pour l’aller retrouver[2]… J’ai rendez-vous chez lui, au sortir d’ici… Quel plaisir j’ai eu à le revoir et à le recouvrer ! Avec quelle chaleur nous nous sommes serrés ! Mon cœur nageait. Je ne pouvais lui parler, ni lui non plus. Nous nous embrassions sans mot dire, et je pleurais. Nous ne l’attendions pas. Nous étions tous au dessert quand on l’annonça : C’est monsieur Grimm. — C’est monsieur Grimm ! repris-je, avec un cri ; et je me levai, et je courus à lui, et je sautai à son cou ! Il s’assit, il dîna mal, je crois. Pour moi, je ne pus desserrer les dents, ni pour manger, ni pour parler. Il était à côté de moi. Je lui serrais la main, et je le regardais. Jugez combien je vais être heureux tout à l’heure que je vous reverrai !… Après dîner, notre tendresse reprit ; mais elle fut un peu moins muette. Je ne sais comment le Baron, qui est un peu jaloux, et qui peut-être est un peu négligé, regardait cela. Je sais seulement que ce fut un spectacle bien doux pour les autres ; car ils me l’ont dit. Enfin, chère amie, il est ici ; quand il a su que vous y étiez aussi, il m’a dit : Et que faites-vous donc dans ces champs !…

On en a usé avec nous comme avec un amant et une maîtresse pour qui on aurait des égards ; on nous a laissés seuls dans le salon ; on s’est retiré, le Baron même. Il faut que notre entrevue l’ait singulièrement frappé. Mais à propos du Baron, le lendemain de son incartade, il entre chez moi le matin, et il me dit : « Il est une mauvaise qualité que j’ai parmi beaucoup d’autres que vous me connaissiez déjà : c’est que, sans être avare, je suis mauvais joueur ; je vous ai brusqué hier, bien ridiculement ; j’en suis bien fâché. » Comment trouvez-vous ce procédé ? Très-beau, je pense ! Adieu, ma Sophie ; estimez le Baron : si vous le connaissiez, vous l’aimeriez trop.


La Saint-Denis.
Mme d’Épinay.
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Au Grandval, le 5 octobre 1759[1].

Que pensez-vous de mon silence ? Le croyez-vous libre ? Je partis mercredi matin. Il était onze heures passées que mon bagage n’était pas encore prêt, et que je n’avais point de voiture. Madame fut un peu surprise de la quantité de livres, de hardes et de linge que j’emportais. Elle ne conçoit pas que je puisse durer loin de vous plus de huit jours. J’arrivai une demi-heure avant qu’on se mît à table. J’étais attendu. Nous nous embrassâmes, le Baron et moi, comme s’il n’eût été question de rien entre nous. Depuis nous ne nous sommes pas expliqués davantage. Mme d’Aine[2], Mme d’Holbach, m’ont revu avec le plus grand plaisir, celle-ci surtout ; je crois qu’elle a de l’amitié pour moi. On m’a installé dans un petit appartement séparé, bien tranquille, bien gai et bien chaud. C’est là que, entre Horace et Homère, et le portrait de mon amie, je passe des heures à lire, à méditer, à écrire et à soupirer. C’est mon occupation depuis six heures du matin jusqu’à une heure. À une heure et demie je suis habillé et je descends dans le salon où je trouve tout le monde rassemblé. J’ai quelquefois la visite du Baron ; il en use à merveille avec moi ; s’il me voit occupé, il me salue de la main et s’en va ; s’il me trouve désœuvré, il s’assied et nous causons. La maîtresse de la maison ne rend point de devoirs, et n’en exige aucun : on est chez soi et non chez elle.

Il y a ici une Mme de Saint-Aubin qui a eu autrefois d’assez beaux yeux. C’est la meilleure femme du monde ; nous faisons ordinairement ensemble un trictrac, soit avant, soit après dîner. Elle joue mieux que moi ; elle aime à gagner ; moi, je ne me soucie pas de perdre beaucoup ; elle gagne donc ; je ne perds que le moins que je peux, et nous sommes contents tous les deux. Nous dînons bien et longtemps. La table est servie ici comme à la ville, et peut-être plus somptueusement encore. Il est impossible d’être sobre, et il est impossible de n’être pas sobre et de se bien porter. Après dîner les dames courent ; le Baron s’assoupit sur un canapé ; et moi, je deviens ce qu’il me plaît. Entre trois et quatre, nous prenons nos bâtons et nous allons promener ; les femmes de leur côté, le Baron et moi du nôtre ; nous faisons des tournées très-étendues. Rien ne nous arrête, ni les coteaux, ni les bois, ni les fondrières, ni les terres labourées. Le spectacle de la nature nous plaît à tous deux. Chemin faisant, nous parlons ou d’histoire, ou de politique, ou de chimie, ou de littérature, ou de physique, ou de morale. Le coucher du soleil et la fraîcheur de la soirée nous rapprochent de la maison où nous n’arrivons guère avant sept heures. Les femmes sont rentrées et déshabillées. Il y a des lumières et des cartes sur une table. Nous nous reposons un moment, ensuite nous commençons un piquet. Le Baron nous fait la chouette. Il est maladroit, mais il est heureux. Ordinairement le souper interrompt notre jeu. Nous soupons. Au sortir de table nous achevons notre partie ; il est dix heures et demie ; nous causons jusqu’à onze, à onze heures et demie nous sommes tous endormis ou nous devons l’être. Le lendemain nous recommençons.

Voilà notre vie ; et la vôtre, quelle est-elle ? vous portez-vous bien ? vous ménage-t-on ? pensez-vous quelquefois à moi ? m’aimez-vous toujours ? Si vous n’avez point entendu parler de moi plus tôt, croyez que ce n’est pas ma faute. Le Grandval est à deux lieues et demie de Charenton, et à la même distance de Gros-Bois. Il n’y a point de poste plus voisine. J’espérais toujours qu’il nous viendrait quelqu’un que je chargerais d’une lettre pour la rue des Vieux-Augustins ; mais nous n’avons encore vu personne, et nous ne sommes point dans un village. Cela n’empêchera point que je ne sois un peu plus exact dans la suite. Un domestique qui me sert portera mes lettres à Charenton ; vous adresserez les vôtres au directeur de la poste pour m’être rendues, et le même domestique les prendra. Voilà qui est arrangé. Demain je saurai le nom de ce directeur ; il sera prévenu. Mercredi ou jeudi vous saurez mon adresse, et nous tâcherons de réparer le temps perdu.

Mme d’Houdetot est venue ici de Villeneuve-le-Roi. C’est une sœur à Mme d’Épinay. Nous avons un peu jasé d’elle et de Grimm. Il n’y a pas d’apparence que je revoie mon ami aussitôt que je l’espérais ; cela me fâche. Il serait venu ici, et j’aurais eu quelqu’un à qui j’aurais ouvert mon cœur et parlé de vous. Ce cœur est malade, il est rempli de sentiments qui le surchargent et qui n’en peuvent sortir. Je prévois que l’ennui et le chagrin ne tarderont guère à me gagner, et qu’il faudra souffrir ou s’en retourner.

Il y a à Valence, en Dauphiné, un M. Daumont[3] qui me rendrait un grand service, s’il le voulait. J’en attends depuis deux mois des papiers qui compléteraient deux lettres, de seize que j’ai à rendre aux libraires. J’ai prié Le Breton de m’instruire de l’arrivée de ces papiers, de l’argent à toucher, de l’ouvrage à rendre. Les bons prétextes pour retourner à Paris ! Ces papiers ne viendront-ils point ?

Je travaille beaucoup ; mais c’est avec peine. Il est une idée qui se présente sans cesse, et qui chasse les autres : c’est que je ne suis pas où je veux être. Mon amie, il n’y a de bonheur pour moi qu’à côté de vous ; je vous l’ai dit cent fois, et rien n’est plus vrai. Si j’étais condamné à rester longtemps ici et que je ne pusse vous y voir, il est sûr que je ne vivrais pas ; je périrais d’une ou d’autre façon. Les heures me paraissent longues ; les jours n’ont point de fin ; les semaines sont éternelles, je ne prends un certain intérêt à rien : si vous éprouvez les mêmes choses, que je vous plains ! Mais que fait donc ce Grimm à Genève ? qui est-ce qui l’y retient ? Encore si je l’avais !

Il n’y a point de doute que si madame votre mère avait eu avec moi les procédés que je méritais, ou je ne serais pas venu ici, ou j’en serais déjà revenu. Mais je me dis : Quand je serais à Paris, qu’y ferais-je ? Plus voisin d’elle et ne la voyant pas davantage, je n’en serais que plus tourmenté. Peut-être ajouterais-je à ses peines, par quelque visite inconsidérée ? Et votre petite sœur, en avez-vous des nouvelles ? Comment se porte-t-elle ? Sa santé déjà ébranlée par les peines qu’elle a…

(Le reste de la lettre manque.)

Le Grandval ou le Grand-Val, château situé sur la commune de Sussy, arrondissement de Boissy-Saint-Léger (Seine-et-Oise), appartient aujourd’hui à M. Berteaux, ancien négociant, qui l’acquit, il y a dix-huit ans, de M. Dubarry de Merval. Celui-ci l’avait racheté à la famille de Thierry, valet de chambre de Louis XVI, qui s’en était rendu propriétaire après la mort de d’Holbach, en 1789. Selon M. Berteaux, le Grandval appartenait en propre à Mme d’Aine. Les titres de propriété, dont quelques-uns remontaient au xvie siècle, ont été dispersés en 1870, par les Prussiens ; il n’a été conservé que quelques plans représentant la façade du Grandval, lors de la vente à Thierry, la disposition intérieure et le parc. C’est présentement un long corps de logis, d’où s’avancent deux ailes, entre lesquelles est une sorte de cour pavée. Les toits pointus du plan de 1789 ont fait place à une toiture moderne. La façade sud (en venant de Sussy) a été entièrement remaniée, la façade nord a été flanquée d’une rotonde moderne, formant vestibule. Les fossés ont été en partie comblés. Deux très-belles avenues d’ormes, taillées à la française, encadrent la pelouse qui s’étend entre le château et la grille. À gauche (en se dirigeant vers cette grille), les anciens communs, restés intacts, forment une des ailes de la ferme, en partie reconstruite par M. Berteaux. Le moulin, situé un peu au delà a disparu. Les vergers et les bois s’étendent jusqu’à la colline, d’où l’on domine La Varenne et qui offre aux regards un horizon immense.
L’intérieur du château a été aménagé selon les goûts modernes. Pourtant voici le grand salon, mais sa haute cheminée n’existe plus. La salle de billard, le salon de musique, sont intacts. La salle à manger a peu changé, mais la chapelle (à l’aile droite) où le « Croque-Dieu » de Sussy venait dire sa messe, est devenue une seconde salle à manger. Toutes les chambres du premier étage s’ouvrent sur le corridor qui s’étend d’un bout à l’autre de la façade. Celle de Diderot, située dans l’aile gauche, vaste et carrée, est éclairée par deux fenêtres, dont l’une s’ouvre précisément sur l’ancienne chapelle du rez-de-chaussée.

Femme du maître des requêtes de ce nom, mère de Mme d’Holbach.
Daumont (Arnulphe), savant médecin dauphinois, né en 1720, mort en 1800.
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À Châlons, le 25 août 1759.

Puisque j’ai encore un moment, je vais, mademoiselle, répondre à vos lettres. Ne me recommandez rien sur l’empressement que nous avons à vous rejoindre, ou envoyez-nous des ailes. J’ai joui de tous les plaisirs que vous me peignez ; cependant je n’ai pas, à beaucoup près, l’embonpoint que vous me supposez ; je me porte bien, et j’espère réparer le temps perdu, sans exposer ma santé. Mais, à propos de travail, le nouvel embarras qui survient aux libraires[1], et qui sera pour eux un nouveau sujet de dégoût, ne me laissera peut-être plus rien à faire. Il y a plus à gagner qu’à perdre à cela ; c’est ce que la chère maman m’a très-bien prouvé, et puis elle ajoute : « Cet arrêt n’est peut-être qu’un bruit ; vous connaissez Mlle Volland ; son talent n’est pas fort sur les nouvelles. » Et je me prête à ses idées parce qu’elles me tranquillisent, et que le repos de l’âme m’est cher, comme vous savez, quoique vous vous amusiez souvent à me l’ôter. Sans savoir le détail de notre disgrâce, nous avons bien imaginé la désolation qu’elle a causée ; mais vous y êtes, vous la voyez, et c’est autre chose. Bientôt nous serons aussi malheureux que vous. Ce ne sera pourtant pas le premier moment ; il sera doux. Il a tant été désiré !

Je ne crois pas le projet d’affaiblir le luxe, de ranimer le goût des choses utiles, de tourner les esprits vers le commerce, l’agriculture, la population, ni aussi difficile, ni aussi dangereux que vous le croyez. Quand il y aurait un inconvénient momentané, qu’importe ? On ne guérit point un malade sans le blesser, sans le faire crier, quelquefois sans le mutiler. J’apprends avec plaisir que la santé de Mme Le Gendre se refait. Si la vie est une chose mauvaise, la raison, qui nous soumet à ses travers, en est du moins une bonne. Continuez vos promenades au Palais-Royal ; dissipez cette chère sœur, dissipez-vous ; appelez-moi quelquefois sur le banc de l’allée d’Argenson, et dites à ceux qui l’occupent qu’il est à la chère maman, et qu’ils aient à décamper. Oui, ma Sophie, oui, nos promenades me paraîtront toujours délicieuses ; oui, nous les renouvellerons encore ; nous interrogerons nos âmes, et, contents ou mécontents de leur réponse, nous aurons du moins la conscience de n’avoir rien dissimulé. La vôtre est-elle toujours bien pure ? S’il y avait quelque chose là qu’il fallût vous pardonner, je le ferais sans doute ; mais il m’en coûterait beaucoup. Je suis si accoutumé à vous trouver innocente ! Voilà une phrase singulière ; mais d’où vient donc que les expressions les plus honnêtes sont presque devenues ridicules ? En vérité nous avons tout gâté, jusqu’à la langue, jusqu’aux mots. Il y a apparemment au milieu de la pièce une tache d’huile qui s’est tellement étendue qu’elle a gagné jusqu’à la lisière.

Me voici à cet arrêt du Conseil. Quels ennemis nous avons ! qu’ils sont constants ! qu’ils sont méchants ! En vérité, quand je compare nos amitiés à nos haines, je trouve que les premières sont minces, petites, fluettes ; nous savons haïr, mais nous ne savons pas aimer. C’est moi, moi, moi, ma Sophie, qui le dis. Cela serait-il donc bien vrai ? Quant au bruit que j’étais parti pour la Hollande, que David m’avait devancé, que nous allions y achever l’ouvrage, je m’y attendais. Doutez de tout ce qu’il vous plaira, mademoiselle la Pyrrhonienne, pourvu que vous en exceptiez les sentiments tendres que je vous ai voués : ils sont vrais comme le premier jour. Votre mot latin est bien plaisant ; il faut que j’aie l’esprit mal fait ; car j’entends malice à tout. J’ai tout reçu et à temps. Nous passons la journée ici ; nous l’avons commencée fort doucement, comme je vous ai dit. Demain, nous irons nous emmesser à Vitry, et passer le reste du jour dans l’habitation de la chère sœur. J’aime les lieux où ont été les personnes que je chéris ; j’aime à toucher ce qu’elles ont approché ; j’aime à respirer l’air qui les environnait ; seriez-vous jalouse même de l’air ? Vous me pardonnerez d’avoir omis une poste sans vous écrire ; et cela ne doit pas vous coûter beaucoup. Au reste, c’est comme de coutume, ce sont toujours les fautes que je ne commets pas pour lesquelles je trouve de l’indulgence. Avec quelle chaleur votre sœur m’accuse ! comme elle dit ! quelle couleur ont ses expressions ! comme elle dirait si elle aimait ! comme elle aimerait ! mais par bonheur ou par malheur, cet être singulier est encore à naître. Je n’ai point commis d’imprudence là-bas ; rassurez-vous. J’ai quelquefois souri à certains propos, mais c’est tout. Vous avez vu le Baron au Palais-Royal ; il est donc à Paris ! Je me reproche de ne lui avoir écrit ni mon départ, ni mon séjour, ni mes arrangements, ni ma vie, ni mon retour. Grimm et ma Sophie ont tout pris ; mais peut-être ne s’en est-il pas aperçu ? De temps en temps je me tracasse sur des choses que je sens et que j’aperçois tout seul.

Pourquoi cette curiosité sur cette lettre de Grimm ? Espérez-vous y trouver l’excuse de votre sœur et la vôtre ? Tenez, ne faites plus de fautes ; quand vous les réparez, vous les aggravez. Je m’y attendais, je m’y attendais, et je ne saurais vous dire combien ce reproche me touche doucement. N’y a-t-il point de mal à vous demander ce que c’est que cette belle dame qui s’intéresse à moi, et à qui je ne m’intéresse guère, puisque je ne la remets pas ? mais il en est une autre qui m’a suivi jusqu’ici. Je n’ai que faire de vous la nommer ; madame votre mère m’en parlait hier à table et m’examinait. Je crois aussi que mon discours et mon visage étaient un peu embarrassés. C’est que je ne saurais parler à moitié ; il faut que je dise tout ou rien.

Il me dit des choses tendres, douces ; il les pense ; mais, n’en dit-il qu’à moi ? Belle occasion pour mentir ! Mais pourquoi faire de ces questions ? il me prend envie d’imiter votre ton léger ; mais je ne saurais. Non, mademoiselle ; je n’aime que vous ; je n’aimerai jamais que vous, et je ne laisserai jamais croire à une autre que je la trouve aimable sans me le reprocher. N’allez-vous pas dire encore de cette phrase qu’elle convient également à l’innocent et au coupable ? La remarque que vous faites sur la circonspection des méchants n’est pas juste ; et quand elle le serait, qu’est-ce que cela me fait ? Je n’ai pas été circonspect ; je me suis laissé aller tout bonnement, et les méchants ne font pas ainsi. Je suis bien aise que vous, Mme Le Gendre, Mlle Boileau me désiriez, pourvu que ce ne soit pas pour vous mettre d’accord. Je n’entends rien ni en fausseté ni en hypocrisie. Je me souviens seulement d’avoir lu une fois sur la table d’un docteur de Sorbonne ces deux mots : « Humilité, pauvre vertu ; hypocrisie, vice dont il ne serait pas difficile de faire l’apologie. »

Adieu, madame, adieu, mademoiselle. Ni moi non plus je ne finirai pas sans vous renouveler les protestations que je vous ai faites si souvent et qui vous ont plu à entendre autant qu’à moi à vous les offrir, parce qu’elles sont vraies et qu’elles le seront toujours. Vous m’aimerez donc bien ? Rappelez-vous tout, et faites vous-même ma réponse.

Mon respect à Mlle Boileau. Tout ce qu’il vous plaira à Mme Le Gendre ; je n’oserais presque plus lui parler. J’en dirais trop ou trop peu ; et ces mots sont peut-être dans ce cas.
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À Isle[1], 23 août 1759.

J’y suis, mademoiselle, dans ce séjour où je me suis fait attendre si longtemps. La chère maman avait la meilleure envie de me gronder, c’est-à-dire le plus grand empressement de vous rejoindre ; mais vous savez combien en même temps elle est indulgente et bonne. Je lui ai dit mes raisons ; elle ne les a pas désapprouvées, et nous avons été contents. Il était à peu près six heures lorsque la chaise est entrée dans l’avenue. J’ai fait arrêter ; je suis descendu ; je suis allé au-devant d’elle les bras ouverts ; elle m’a reçu comme vous savez qu’elle reçoit ceux qu’elle aime de voir ; nous avons causé un petit moment d’un discours fort interrompu, comme il arrive toujours en pareil cas. « Je vous espérais ce jour-là… — … Je le voulais ; mais cela n’a pas été possible. — … Et cet autre jour-là ?… — Comment le refuser à un frère, à une sœur qui l’ont demandé ?… — Vous avez eu bien chaud ?… — Oui, surtout depuis Perthes ; car j’avais le soleil au visage..... — Bien fatigué ?… — Un peu… — Votre santé me paraît bonne..... Je vous trouve le visage meilleur..... Et vos affaires ? — Tout est arrangé..... — Tout est arrangé !..... Mais vous avez peut-être besoin d’être seul ; venez, je vais vous mener chez vous..... »

J’ai donné la main, et l’on m’a conduit dans la chambre du clavecin, où je suis resté un petit moment après lequel je suis rentré dans le salon, et j’y ai trouvé la chère maman qui travaillait avec Mlle Desmarets. Le soleil était tombé ; la fin du jour très-belle ; nous en avons profité. D’abord nous avons parcouru tout le rez-de-chaussée ; l’aspect de la maison m’avait plu ; j’en dis autant de l’intérieur. Le salon surtout est on ne peut pas mieux. J’aime les boisures et les boisures simples : celles-ci le sont. L’air du pays doit être sain, car elles ne m’ont point paru endommagées ; et puis une porte sur l’avenue, une autre sur le jardin et sur les vordes : cela est on ne peut mieux. S’il en faut davantage à Mme Le Gendre dans le petit château, c’est qu’elle a le goût corrompu et que le faste lui plaît. Eh ! madame ! vous qui avez l’âme si sensible et si délicate, que le récit d’un discours honnête, d’une bonne action affecte si délicieusement, jetez vos coussins par les fenêtres, et vous mériterez une bénédiction de plus, Nous avons ensuite parcouru tout ce grand carré qui est à droite, et la grange, et les basses-cours, et la vinée, et le pressoir, et les bergeries, et les écuries. J’ai marqué beaucoup de plaisir à voir tous ces endroits, parce que j’en avais, parce qu’ils m’intéressent. Ces patriarches, dont on ne lit jamais l’histoire sans regretter leurs temps et leurs mœurs, n’ont habité que sous des tentes et dans les étables. Il n’y avait pas l’ombre d’un canapé, mais de la paille bien fraîche, et ils se portaient à merveille, et toute leur contrée fourmillait d’enfants.

La maman marche comme un lièvre ; elle ne craint ni les ronces, ni les épines, ni le fumier. Tout cela n’arrête pas ses pas ni les miens, n’offense point son odorat ni le mien. Allez, pour un nez honnête qui a conservé son innocence naturelle, ce n’est point une chèvre, c’est une femme bien musquée, bien ambrée, qui pue. L’expression est dure, mais elle est vraie.

Cependant les chariots de foin et de grain rentraient, et cela me plaisait encore. Je suis un rustre et je m’en fais honneur, mesdames. De là, nous avons fait un tour de jardin que je trouvais petit ; cette porte, qui est à l’extrémité et en face du salon, me trompait ; je ne savais pas qu’elle s’ouvrît dans les vordes, et que ces vordes en étaient. Nous les avons parcourues ; nous avons passé les deux ponts ; j’ai encore salué la Marne, ma compatriote et fidèle compagne de voyage. Ces vordes me charment ; c’est là que j’habiterais ; c’est là que je rêverais, que je sentirais doucement, que je dirais tendrement, que j’aimerais bien, que je sacrifierais à Pan et à la Vénus des champs, au pied de chaque arbre, si on le voulait, et qu’on me donnât du temps. Vous direz peut-être qu’il y a bien des arbres ; mais c’est que, quand je me promets une vie heureuse, je me la promets longue. Le bel endroit que ces vordes ! Quand vous vous les rappelez, comment pouvez-vous supporter la vue de vos symétriques Tuileries, et la promenade de votre maussade Palais-Royal, où tous vos arbres sont estropiés en tête de choux, et où l’on étouffe, quoiqu’on ait pris tant de précaution en élaguant, coupant, brisant, gâtant tout pour vous donner un peu d’air et d’espace ? Que faites-vous ? où êtes-vous ? Vous feriez bien mieux de venir que de nous appeler. Le sauvage de ces vordes et de tous les lieux que la nature a plantés est d’un sublime que la main des hommes rend joli quand elle y touche. Ô main sacrilège ! vous la devîntes lorsque vous quittâtes la bêche pour manier l’or et les pierreries. Je l’ai vu ; nous nous y sommes assis ; nous y avons aussi causé de ce petit kiosque que vous avez consacré par vos idées. C’est là, madame[2], qu’on m’a dit que vous vous retiriez souvent pour être avec vous. Venez vous y réfugier encore. Le mortel qui vous estime et qui vous respecte le plus passera sans aller vous y interrompre. Venez ; il ne vous faut plus qu’un moment dans ce lieu solitaire pour concevoir que l’Être éternel qui anime la nature, qui est autour de vous, s’il est, est bon, et se soucie bien plus de la pureté de notre âme que de la vérité de nos opinions. Eh ! que lui importe ce que nous pensons de lui, pourvu qu’à nous voir agir il nous reconnaisse pour ses imitateurs et pour ses enfants. Venez, vous n’y serez point troublée ; ma profane Sophie et moi nous irons nous égarer loin de vous, et nous attendrons qu’Uranie nous fasse signe pour nous approcher d’elle. Cependant la chère maman veillera au bonheur et de celle qui médite et de ceux qui s’égarent. Voyez ce que peut sur moi le séjour des champs ; je suis content de ce que j’écris, ou plutôt j’écris et je suis content, et je sens qu’à la ville, au lieu de me livrer aux charmes de la nature, je m’occuperais de la nuance subtile qui distingue les expressions hypocrisie, fausseté.

Nous sommes rentrés un peu tard. La rosée, chose que vous ne connaissez peut-être pas, mouille les plantes sur le soir et les rafraîchit de la chaleur du jour. Sans elle, nous nous serions peut-être promenés plus longtemps. Nous nous sommes un peu reposés dans le salon. Chemin faisant, j’ai entretenu madame votre mère de nos arrangements domestiques. Nous avons parlé de ses chères filles ; nous nous sommes attendris sur la mère et sur l’enfant. Je les ai peints dans ces jours de chaleur où l’on avait peine à se supporter, et où la mère prenait entre ses bras son enfant brûlant de fièvre, et la tenait des heures entières appuyée sur son sein. J’ai vu ses yeux s’humecter, et nous disions : Elle a si bien fait son devoir ! elle doit être si contente d’elle, qu’elle n’a qu’à revenir sur elle-même pour se consoler. La chère maman, à qui je témoignais mon inquiétude sur votre santé, m’a remis deux de vos lettres. J’en reçois aujourd’hui une troisième avec des plumes, de l’encre et du papier pour y répondre, et je n’en fais rien. Je laisse tout pour vous marquer le plaisir que j’ai d’être dans un lieu que vous avez habité. Ne nous y retrouverons-nous jamais tous, avec des âmes bien tranquilles et bien unies ? Il serait tout élevé, tout bâti, ce petit château idéal.

Nous nous sommes couchés de bonne heure. Le lit m’a paru excellent, et il n’a tenu qu’à vous que j’y passasse la meilleure nuit ; mais cet arrêt, dont je n’avais point entendu parler, m’est revenu par la tête, et m’a un peu tracassé[3]. Si vous n’étiez pas à la ville, il faudrait l’oublier, et puis le spectacle de la douleur qui vous environne et que mou imagination grossit, et ce frère de M. de Prisye, et tant d’autres victimes, et la nation, et les impôts ! Nous y retournerons, pourtant, dans ce lieu de tumulte et de peines. Demain à Châlons, où M. Le Gendre nous attend, et mercredi, dans la matinée, je l’espère, à Paris, qui, malgré tout le mal que j’en pense et que j’en dis, est pourtant le séjour du bonheur pour moi. À mercredi, madame ; à mercredi, mademoiselle ; mercredi, je vous rendrai la chère maman, et vous m’aimerez bien. Cette chère et attentive maman est venue passer la matinée avec moi ; elle m’a prévenu, et nous avons causé de vous ; nous en parlerons souvent sur la route : c’est un sujet d’entretien qui nous est également cher.


Le château d’Isle et le parc, dont J. N. Volland a laissé le plan, furent achetés en 1786 par le comte de Paillot, dont la tombe se voit dans le cimetière du village. Ils appartinrent ensuite aux familles de Chiézat et Rouvay, puis à M. Royer, enfin à M. Chauvel. C’est la veuve de celui-ci qui les possède aujourd’hui.

Le château n’a que fort peu changé depuis un siècle. Les « boisures » dont parle Diderot et leurs trumeaux naïfs existent encore. Les grandes et les petites vordes n’ont pas perdu un seul de ces peupliers sous lesquels Diderot vint plus d’une fois rêver, et leurs pieds sont souvent baignés par sa « triste et tortueuse compatriote, la Marne », qui borne la propriété.

C’est à Mme Le Gendre qu’il s’adresse ici
Il s’agit de l’arrêt du 8 mars 1759, révoquant les lettres de privilège accordés à l’Encyclopédie ; se peut-il que, cinq mois après sa promulgation, il fût encore inconnu à Diderot ?
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Saint-Dizier, 19 août 1759.


Me voilà hors de ce village appelé Guémont. Je n’y ai pas fermé
l’oeil; des bêtes, je ne sais quelles, m’ont mangé toute la nuit;
nous en sommes sortis à six heures, pas plus tôt. Les domestiques
font à peu près avec moi ce qu’ils veulent. Nous avons fait nos
quatre lieues et rafraîchi. Chemin faisant, nous avons laissé
Joinville sur notre gauche; elle est perchée sur un rocher dont la
Marne arrose le pied, et fait un fort bel effet. C’est une bonne
compagnie que cette rivière; vous la perdez; vous la retrouverez
pour la perdre encore, et toujours elle vous plaît; vous marchez
entre elle et les plus beaux coteaux. Nous avons rafraîchi à un
village appelé Lachecourt. Je me suis amusé là à causer avec un
vieillard de quatre-vingt-dix ans. J’aime les enfants et les
vieillards; je regarde ceux-ci comme des êtres singuliers que le
sort a épargnés. L’hôtesse de l’endroit est une grosse réjouie qui
dit que sacredieu n’est pas jurer. Quand elle jure, je ne sais
plus ce qu’elle dit.

Il faut qu’on soit bien malheureux dans ce pays. Oh! combien on a
de bénédictions pour trois sous! On me prend toujours pour un
homme d’Église: on m’a appelé Sa Grandeur. J’ai répondu au
premier: «Ce n’est pas moi, c’est ce cheval qui est grand».
J’étais déjà bien revenu des colifichets; je le suis bien
davantage. Mon coeur s’émeut de la joie la plus douce quand mes
semblables me bénissent.

On n’entend rien aux amants! Ils
semblent n’être pas faits pour être toujours ensemble, ni pour
être séparés; toujours ensemble, on dit qu’ils s’useraient;
séparés, ils souffrent trop.

C’est le petit château qui sera une maison bénie! C’est là que,
sans glaces, sans tableaux, sans sophas, nous serons les mortels
les plus heureux par le bien que nous ferons et par celui qu’on
dira de nous. Quand on se tairait, le serions-nous moins? Une
bonne action, qui n’est connue que du ciel et de nous, n’en est-
elle pas encore plus belle? J’aime à croire, pour l’honneur de
l’humanité, que la terre en a couvert et en couvrira une infinité
avec ceux qui les ont faites. J’aime la philosophie qui relève
l’humanité. La dégrader, c’est encourager les hommes au vice.
Quand j’ai comparé les hommes à l’espace immense qui est sur leur
tête et sous leurs pieds, j’en ai fait des fourmis qui se
tracassent sur une taupinière. Il me semble que leurs vices et
leurs vertus, se rapetissant en même proportion, se réduisent à
rien.

Me voilà à Saint-Dizier. Il n’est qu’une heure et demie. Si ma
Sophie était à Isle, j’y arriverais sûrement ce soir; mais elle
n’y est pas, et je coucherai sûrement à Vitry où ailleurs, d’où je
continuerai à lui griffonner encore un mot. Demain, je serai au
lever de madame votre mère. Le coeur m’en bat d’avance. On prépare
mon dîner; en attendant, je vais vous faire part d’une petite
aventure qui m’est arrivée à Langres, les derniers jours. Nous
avons là une marquise de ***, qui n’est pas la moins spirituelle
ni la moins folle de nos dames, qui le sont pourtant assez. Elle
s’appelait auparavant Mlle de ***: elle me vint voir le matin
presque dans mon lit; notez cela. Nous sommes tombés fous l’un de
l’autre. Nous avons arrangé la vie la plus agréable. Elle viendra
passer neuf mois à Paris; les trois autres, nous irons les passer
à *** ou à ***, comme il nous conviendra. Elle m’a envoyé, le
lendemain de cette entrevue, un billet doux pour me rappeler mes
engagements et me demander des vers pour une présidente de ses
amies dont c’était la fête le lendemain. J’ai répondu à cela avec
le plus d’esprit possible, le moins de sentiment et le plus de
cette méchanceté qu’on n’aperçoit pas. Cela disait: Ordonnez-moi
ce qu’il vous plaira; mais ne m’ordonnez pas d’avoir autant
d’esprit que vous. Réchauffez mon esprit et mes sens, et j’oserai
alors vous obéir. Pour vous expliquer la valeur de ce j’oserai, il
faut que vous sachiez que cette marquise a eu un mari libertin,
qui n’avait pas la réputation de se bien porter. C’est à ce propos
que ma soeur, à qui elle disait: Mademoiselle, pourquoi ne vous
mariez-vous pas? lui répondait: Madame, c’est que le mariage est
malsain.

À ce soir encore un petit mot, mon amie. Je vais manger deux oeufs
frais et dévorer un pigeon, car j’ai de l’appétit; le voyage me
fait bien; c’est cependant une sotte chose que de voyager:
j’aimerais autant un homme qui, pouvant avoir une compagnie
charmante dans un coin de sa maison, passerait toute la journée à
descendre du grenier à la cave et à remonter de la cave au
grenier. Tout ce griffonnage d’auberge, dont vous ne nous tirerez
jamais, vous sera dépêché demain de Vitry, à l’adresse de M. ***.

P. S. J’allais faire une bonne sottise. Je croyais qu’il fallait
passer à Vitry au sortir de Saint-Dizier, et point du tout. Je
suis à la porte de la maison; dans deux heures d’ici, je parlerai
à madame votre mère. Le coeur me bat bien fort; que lui dirai-je?
que me dira-t-elle? Allons, il faut arriver. Adieu, ma Sophie; je
me recommande à vos souhaits. À vendredi.

J’oubliais de vous dire que je ne fis point les vers demandés, et
que je suis parti sans rendre la visite à ma marquise.
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Langres, 14 août 1759.


J’ai encore deux nuits à passer ici. Jeudi matin, de grand matin,
je quitterai cette maison, où, dans un assez court intervalle de
temps, j’ai éprouvé bien des sensations diverses. Imaginez que
j’ai toujours été assis à table vis-à-vis d’un portrait de mon
père, qui est mal peint, mais qu’on a fait tirer il y a seulement
quelques années, et qui ressemble assez; que nos journées ont été
employées à lire des papiers écrits de sa main, et que ces
derniers moments se passent à remplir des malles de hardes qui ont
été à son usage et qui peuvent être au mien. Toutes ces relations
qui lient les hommes entre eux d’une manière si douce ont pourtant
des instants bien cruels; bien cruels! j’ai tort, je suis à
présent dans une mélancolie que je ne changerais pas pour toutes
les joies bruyantes du monde. Je suis appuyé sur le lit où il a
été malade pendant quinze mois. Ma soeur se relevait dix fois la
nuit pour lui apporter des linges chauds, pour rappeler la vie qui
commençait à s’éloigner des extrémités de son corps. Il fallait
qu’elle traversât un long corridor pour arriver à cette alcôve, où
il s’était réfugié depuis la mort de sa femme. Leur lit commun
était resté vacant depuis onze ans. Pour soulager sa fille dans
les soins continuels qu’elle lui rendait, il vainquit sa
répugnance et vint se placer dans ce lit. En y entrant, il dit: Je
me trouve mieux, mais je n’en sortirai pas. Il se trompait: il
mourut, ou plutôt il s’endormit pour ne plus se réveiller, dans un
fauteuil, entre son fils, sa fille et quelques-uns de ses amis. Il
s’échappa d’au milieu d’eux sans qu’ils s’en aperçussent.

L’acte de nos partages est signé d’hier. Les choses se sont
passées comme je vous l’ai dit. J’ai signé le premier. J’ai donné
la plume a mon frère, de qui ma soeur l’a reçue. Nous n’étions que
nous trois. Cela fait, je leur ai témoigné combien j’étais touché
de leur procédé. J’avais peine à parler, je sanglotais. Je leur ai
demandé ensuite s’ils étaient satisfaits de moi; ils ne m’ont rien
répondu; mais ils m’ont embrassé tous les deux. Nous avions tous
les trois le coeur bien serré. J’espère qu’ils s’aimeront. Notre
séparation qui s’approche ne se fera pas sans douleur; un autre
sentiment lui succédera à mesure que j’approcherai d’Isle, et puis
un autre à mesure que j’approcherai de Châlons, et encore un autre
à mesure que j’avancerai vers Paris. Avant que de me retrouver
entre vos bras, j’aurai vu le séjour habité par la femme du monde
que j’aime le plus, et le séjour habité par la femme du monde que
j’estime autant que j’aime la première, et ces deux femmes sont
les deux soeurs. Adieu, ma Sophie, adieu, chère soeur; je n’ose me
flatter que vous m’attendiez avec la même impatience que j’ai à
vous aller rejoindre. Adieu, adieu. Si j’arrivais la veille de la
Saint-Louis, ce bouquet en vaudrait bien un autre, n’est-il pas
vrai, mon amie?
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