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Citations sur Le liseur du 6h27 (344)

L’hébétude qui se dessinait sur le visage du chauffeur avait balayé toute trace de colère. Son menton persillé d’une barbe naissante s’affaissa au fur et à mesure qu’Yvon scandait le quatrain de sa voix puissante. Guylain sourit. C’était bien un nouveau. Ça leur fait souvent ça la première fois. L’alexandrin les prenait de court. Les rimes leur tombaient dessus, les asphyxiant aussi sûrement qu’une volée de coups portée en plein plexus.
« C’est droit comme une épée, un alexandrin, lui avait un jour expliqué Yvon, c’est né pour toucher au but, à condition de bien le servir. Ne pas le délivrer comme de la vulgaire prose. Ça se débite debout. Allonger la colonne d’air pour donner souffle aux mots. Il faut l’égrener de ses syllabes avec passion et flamboyance, le déclamer comme on fait l’amour, à grands coup d’hémistiches, au rythme de la césure. Ça vous pose son comédien, l’alexandrin. Et pas de place pour l’improvisation. On ne peut pas tricher avec un vers de douze pieds, petit. » à 59 ans, Yvon était passé maître dans l’art de les décocher. Déployant son mètre quatre-vingt-cinq, le gardien était sorti de sa guérite :

« Nombreux sont les livreurs qui affrontent mon courroux,
Arrivez donc à l’heure et vous me verrez doux,
Livrez ce chargement, quittez cet air hagard,
Effacez le tourment qu’à causé ce retard.

Tâchez à l’avenir de respecter l’horaire,
Ne laissez pas tarir ma patience légendaire,
Quelle que soit l’heure passée, il n’est plus grand outrage
Que de réceptionner un nouvel arrivage.

Gardez-vous pour toujours de réveiller mes nerfs,
Sous les plus beaux atours, se cache souvent mégère.
Si je suis serviteur je n’en reste pas moins
Concernant ce secteur maître de vos destins ! »

L’inquiétude avait pris possession du camionneur. Il n’avait plus soudain devant les yeux Yvon Grimbert, insignifiant gardien d’usine, mais le grand prêtre tout puissant du temple. Sous la moustache grisonnante, les lèvres écarlates s’activaient pour délivrer sans trembler les phrases assassines. Le type entama un repli prudent sur la pointe de ses santiags et regagna la cabine de son Volvo à l’abri de l’avalanche de rimes. Yvon le poursuivit. Debout sur le marchepied, il balança dans l’habitacle de pleins paquets de vers tandis que le jeune homme au bord de la panique s’échinait à remonter la vitre à grands coups de moulinets nerveux.
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Quand on tient des toilettes publiques, quelles qu ' elles soient, on n ' est pas censé tapoter sur le clavier de son ordinateur portable pour y tenir son journal. On doit juste être bonne à torcher du matin au soir, à astiquer les chromes, à récurer, à briquer, rincer, réapprovisionner les cabinets en papier toilette et rien d'autre.On attend d'une dame- pipi qu 'elle nettoie, pas qu'elle écrive. Les gens peuvent concevoir que je fasse des mots fléchés, des mots croisés, des mots mêlés , des mots cachés, des mots enfermés dans toutes sortes de grilles.Ces mêmes gens peuvent également admettre que je lise à mes heures perdues des romans photos, des hebdos féminins, des magazines télé, mais que je pianote de mes doigts abîmés par l'eau de javel sur le clavier d ' un ordinateur portable pour y coucher mes pensées, ça ça leur interpelle l'entendement
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"N' oublie jamais ça, petit : on est à l édition ce que le trou du cul est à la digestion, rien d'autre.
Déjà, un second camion vint décharger sa benne.La chose lança un chapelet de rots acides par sa gueule béante, mordant le vide de tous ses marteaux.Ultimes reliefs du repas précédent , quelques pages déchiquetées et gorgées d'eau pendouillaient au milieu des rouages comme de vulgaires lambeaux de peau.A grands coups d'accélérateurs rageurs, Brunner partit à l'assaut de la nouvelle colline de livres la langue posée au coin des lèvres.
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Un homme, chaque matin dans le RER, s’asseoit sur le même strapontin et lit à voix haute des pages de romans qu'il sauve de la destruction dans l'usine où il travaille.
Mais un jour sur son strapontin, il trouve une clé USB dans laquelle se cachent des textes écrits par une jeune femme....
Un très joli conte moderne, de beaux personnages, une belle écriture qui font de ce roman un livre dont on a du mal à se détacher.
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Guylain eut envie de lui demander s'ils ne faisaient pas le modèle standard, le rouge normal, avec une seule queue, pour ce qu'il en faisait, tourner en rond, c'était bien suffisant, et deux petits yeux plantés de chaque côté de la tête, là où ils devaient être. Au lieu de cela, il tira de sa poche la photo abîmée de Rouget Premier du nom, le père de la dynastie, celui par qui tout avait commencé et la brandit sous le nez de la commerçante: "Je souhaiterais tout simplement le même que celui-là", dit-il en tapotant du doigt l'image fatiguée.
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Guylain Vignolles, lui, était entré dans la vie avec pour tout fardeau la contrepèterie malheureuse qu'offrait le mariage de son patronyme avec son prénom: Vilain Guignol, un mauvais jeu de mots qui avait retenti à ses oreilles dès ses premiers pas dans l'existence pour ne plus le quitter.
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j'aime ce moment particulier, quand la planète semble suspendre sa course, le temps pour elle de faire son choix entre la lumière du jour naissant et le noir de la nuit qui se meurt. Je me dis qu'un jour peut-être, la Terre ne va pas reprendre sa rotation et s'immobilisera à jamais tandis que la nuit et le jour camperont chacun sur leur position respective, nous plongeant dans une aube permanente. Je me dis alors que, baignées de cette lueur crépusculaire qui donne un ton pastel à toute chose, les guerres seront moins insupportables, les paix plus durables, les grasses matinées plus fades, les soirées plus longues.
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Comme dit toujours tantine : On peut s'attendre à tout de la part d'un constipé, même à rien. Et d'ajouter en général : Il est aux toilettes ce que le muet est à la chanson, et vice versa.
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A l’intersection des trois allées principales, la grande fontaine m’offre son glouglou rassurant. Quelques pièces de monnaie luisent dans le fond du bassin, des pièces jetées là par quelques couples d’amoureux ou des joueurs de lotos superstitieux. Il m’arrive parfois à moi aussi d’en balancer une en passant, lorsque l’envie m’en prend. Comme ça, pour le seul plaisir de les voir scintiller tandis qu’elles s’enfoncent sous la surface en tournoyant sur elles-mêmes. Peut-être aussi parce qu’il reste en moi un peu de cette petite fille de huit ans qui attend que son prince charmant daigne enfin la libérer. Un vrai prince charmant qui après avoir garé son beau destrier blanc dans le parking (une Audi A3 ou une DS intérieur cuir par exemple), fera halte chez moi pour vider sa vessie avant de m’emporter dans ses bras pour une longue aventure amoureuse. Faut que j’arrête de feuilleter Nous Deux moi, ça me tape un peu trop sur les oestrogènes des lectures pareilles.
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J'aime cette idée qu'ils ont mûri pendant la nuit ces écrits, comme une pâte à pain que l'on a laissé lever et que l'on retrouve au petit matin bien gonflée et odorante.
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